Le 4ème congrès de l'Union Syndicale Solidaires qui réunit les syndicats SUD s'est tenu du 3 au 5 juin à Saint Jean de Monts, en Vendée. « {Solidaires est à un tournant : se développer ou disparaître} » a affirmé d'emblée Alain Gathier du SNUI (Syndicat national unifié des impôts). En écho, le porte parole de Sud Santé Sociaux a renchéri : « {les héros sont fatigués, les derniers succès sont derrière nous} ». L'Union syndicale solidaires traverse-t-elle une crise ? La réalité est moins préoccupante.
L’Union syndicale Solidaires fête ses dix ans d’existence, avec 43 fédérations ou syndicats nationaux, où les SUD (Solidaires, Unitaires, Démocratiques) dominent avec 30 organisations. Pourtant, en 1989, les militants exclus de la CFDT qui avaient créé SUD PTT au sein du Groupe des 10, une petite structure de syndicats autonomes, ne pesaient pas lourd dans le paysage syndical. Le projet de rénover le syndicalisme, qui anime toujours aujourd’hui les Solidaires, date en réalité de 1981.
Du Groupe des 10 à Solidaires
Lors de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, une dizaine de syndicats issus de l’éclatement de la CGT en 1947 décident de faire converger leurs forces « pour lancer, comme en 1936 lors du Front Populaire, un mouvement de grève générale avec occupation » raconte Gérard Gourguechon, qui était alors Secrétaire national du SNUI. Le mouvement échoue, mais le Groupe des 10 est lancé. Toutefois, les traditions du syndicalisme autonome rendent difficile la coordination des actions revendicatives interprofessionnelles. Dès 1983, les syndicats du G10 de la fonction publique s’opposent à la politique de rigueur du gouvernement Fabius. En 1989, le SNUI déclenche une grève aux impôts qui va durer entre 2 et 6 mois. Le G10 propose à la FEN de s’y associer, celle-ci refuse « pour ne pas mettre un gouvernement de gauche dans l’embarras » précise Gérard Gourguechon. Le Parti Socialiste se détourne alors du Groupe des 10. Cinq ans plus tard, il encourage la création de l’UNSA. Il ne reste au G10 qu’à se tourner vers les exclus de la CFDT, aux PTT ou dans la santé. C’est le début de l’aventure de Solidaires. Dix ans après, il ne reste du G10 que 3 syndicats : le SNUI, le SNJ chez les journalistes et le SNABF à la Banque de France. Tous les autres sont soit retournés à l’autonomie syndicale, soit passés à l’UNSA en 1993, laissant parfois une partie de leurs militants parmi les Solidaires, où ils ont créé des syndicats SUD. Les plus radicaux sont à SUD Education et à SUD Energie. Les plus « réformistes » (si ce mot a un sens pour l’Union Solidaires) sont dans le privé : « Nous sommes pour un syndicalisme de rapport de force collectif qui permet de signer des accords avec le patronat » explique ainsi José Térol, de Solidaires Industrie, qui, avec 800 adhérents, fait figure de poids lourd dans le mouvement.
Dimension internationale
Ce 4ème Congrès s’est ouvert dans la meilleure tradition syndicale : appel des 43 organisations membres et des 88 unions départementales représentées, salut aux six délégations étrangères de Pologne, de Palestine ou du Burkina Fasso, et accueil des invités de la CGT, de la FSU, de l’UNEF, de la Confédération Paysanne, de la Ligue des Droits de l’Homme, ou du DAL (Droit Au Logement), d’ATTAC et d’AC ! (Agir contre le Chômage). Sur les 400 congressistes attendus, 350 avaient fait le déplacement, les autres « étant retenus par des luttes sur leur lieu de travail ». Les cheveux gris ou blancs dominent dans la salle : le vieillissement syndical n’épargne pas les Solidaires. Sur les T shirt : Che Guevara ou « Faucheur volontaire d’OGM »... Mais l’Union syndicale ne cultive pas la nostalgie. Soucieuse de mieux se connaître, elle a commandé au CNRS une étude sociologique sur le profil de ses militants dix ans après sa création.
Dans son rapport d’activité, Annick Coupé, fondatrice de SUD PTT et Secrétaire nationale de l’Union syndicale solidaires, passe en revue tous les thèmes sociaux qui fondent « un syndicalisme de rapport de force et de contre-pouvoir indépendant et unitaire ». Elle cite le contexte actuel des crises internationales, sociale, alimentaire, écologique, géopolitique et économique : « le travail international du syndicalisme est indispensable face à un capitalisme lui-même international ». C’est pour cela que l’Union syndicale a lancé en 2006 Solidaires international, un semestriel publié par sa commission internationale pour capitaliser sur le succès des Forums Sociaux mondiaux et européens auxquels Solidaires participe activement. Sa doctrine internationale a toujours été largement orientée par le mouvement altermondialiste ATTAC dont l’union est un des fondateurs, ce qui fait aujourd’hui grincer quelques dents : « Le regard d’ATTAC ne doit pas devenir notre unique position. ATTAC est un outil à disposition de Solidaires, pas l’inverse », rectifie un délégué de Solidaires Douanes.
Convergence dans les luttes
L’essentiel du rapport d’Annick Coupé est consacré au contexte français. Dénonçant l’absence « d’alternative politique crédible, capable de s’opposer au projet de destruction social généralisée inscrite dans le projet de Nicolas Sarkozy », elle souligne le rôle de Solidaires dans les intersyndicales depuis le conflit anti CPE, ainsi que dans la convergence des mouvements sociaux sur les retraites, le service public, la question européenne ou les droits des immigrés. « Nous nous sommes investis dans les "Etats généraux de la santé" en considérant que c’était le cadre approprié pour créer un front large regroupant syndicats de salariés et des professions médicales, associations citoyennes, associations de malades... Un collectif contre la franchise et pour l’accès aux soins pour tous s’est constitué (...) malgré l’absence des confédérations ». La même stratégie a été employée dans la fonction publique avec la création de la « Convergence nationale pour la défense des services publics » avec la FSU et la CGT, ou au profit des travailleurs immigrés avec le « Collectif Uni(e)s contre une immigration jetable » et le réseau Education sans Frontières. Dans le secteur privé, le rapport salue les luttes des Solidaires chez PSA ou dans la vente par correspondance, la croissance de SUD Chimie-Pharmacie chez Sanofi, Total, BASF ou Goodyear-Dunlop, et l’implantation de SUD dans la grande distribution.
Développer les adhésions et l’audience
Le développement du mouvement est un des enjeux prioritaire du Congrès. Depuis 2004, Solidaires est passé de 74 000 à 86 000 adhérents affiliés, et à près de 4000 adhérents des syndicats locaux non fédérés (dans les unions locales, le nettoyage, le transport ou le commerce). Les comptes de l’Union syndicale sont calculés sur la base de 85 000 cotisants et représentent un budget de 153 000 € en 2007, contre 147 000 € en 2004. Dans ce contexte, la part des syndicats de la fonction publique est essentielle. Même si Solidaires refuse l’institutionnalisation syndicale et limite le plus possible les fonctions de permanents syndicaux, la location d’un nouveau siège de 160 m2 à Paris n’a été possible que grâce au soutien financier des organisations de fonctionnaires qui bénéficient des subsides attachés à leur reconnaissance, obtenue en 2006. Lors des dernières élections des commissions administratives paritaires, Solidaires a recueilli 9,4% des suffrages, alors qu’elle ne pèse que 2,5% des voix aux élections des comités d’entreprise en 2005, en dépit d’une belle progression qui la place désormais devant les résultats de l’UNSA. Aussi, les prochaines élections prud’homales seront essentielles pour mesurer la représentativité globale de l’organisation, qui présentera des listes dans 70% des sections contre 30% en 2002, et vise 5% des voix contre les 1,5% obtenus à l’époque. On peut aussi penser que le poids financier du secteur public dans l’organisation a favorisé la signature de mai dernier par Solidaires de l’accord sur le dialogue social dans la fonction publique, malgré l’opposition de SUD Rail, réitérée lors du congrès.
En effet, l’évolution de l’Union ne se fait pas seulement par la croissance : 8 organisations sur 43 ont baissé en effectifs contre 24 qui ont augmenté, les autres restants stables. Certaines, comme Solidaires Doubs, ne comptent que 15 adhérents. Et parmi les structures qui grossissent, on trouve celle des retraités, créée en 2007 (l’Union nationale interprofessionnelle des retraités de Solidaires - UNIRS). Enfin, Solidaires a perdu cette année la gratuité du routage national de sa revueExpression Solidaires, qui bénéficiait auparavant du service postal de... SUD PTT.
Faut-il développer les structures interprofessionnelles ?
Derrière les enjeux financiers du développement de Solidaires se cache un débat bien plus sensible pour l’avenir de l’organisation : la place des structures interprofessionnelles locales. En effet, selon les statuts, les Solidaires locaux ne bénéficient que d’une voix consultative au Comité national qui se réunit trois fois par an en complément du bureau national mensuel, où seules les structures professionnelles ont le droit de vote. Encore ce droit de vote doit-il s’exercer dans le cadre du consensus, qui est la règle prioritaire de Solidaires : un seul vote négatif suffit à bloquer une résolution, et chaque organisation ne dispose que d’une voix, quels que soient ses effectifs. En moyenne « 23 organisations nationales sont présentes lors des bureaux nationaux, et 50 structures, soit 26 organisations professionnelles et 24 solidaires locaux, lors de comités nationaux. Ces chiffres témoignent d’une faiblesse de participation qui pose non seulement un problème en matière de règle de fonctionnement (le quorum n’étant pas toujours atteint) », explique Annick Coupé, « mais surtout elle entraine une perte dans nos capacités de réflexion et d’élaboration collective. » Décryptage : si demain les Solidaires locaux obtiennent le droit de vote, ils obtiennent aussi mathématiquement la majorité dans les instances de l’Union. Il existe 88 unions départementales contre 43 fédérations ou syndicats professionnels. C’est donc au nom des statuts de Solidaires que le SNABF a défendu une motion contre l’octroi du droit de vote aux structures territoriales, rejoint par le SNJ qui récusait pour sa part la dérive vers une logique confédérale.
Autonomie ou confédération
Toute l’ambiguïté d’un syndicalisme de troisième voie se trouve ici résumée. Ce sont les organisations issues du Groupe des 10 et de l’autonomie syndicale qui ont fait obstacle à la transformation de Solidaires à l’occasion de ce congrès. En face, les militants issus de la CFDT ou de la CGT, familiers des confédérations, ont du plier sous la loi d’airain du consensus « un syndicat = une voix ». Il suffisait d’un vote contre, il y en eut au moins cinq. Le congrès de Solidaires s’est donc conclu par l’adoption d’une motion typiquement « sociale-démocrate » : la constitution d’un groupe de travail et la convocation l’an prochain d’un congrès extraordinaire pour décider de la place des Solidaires locaux dans les instances nationales...
En 2006, le même débat avait agité l’assemblée générale du mouvement ATTAC : les groupes locaux revendiquaient une part des décisions nationales, contre les voix prépondérantes attribuées par les statuts au « collège des fondateurs » dont Solidaires est membre. Ce psychodrame a mal tourné, puisque l’ancienne direction du mouvement, qui tentait de s’opposer à la réforme des statuts, fut convaincue de fraude électorale et dû céder sa place. Cet exemple est sûrement médité par les membres du bureau national de Solidaires, qui savent qu’ils n’ont qu’un an pour faire émerger un improbable consensus. Le syndicalisme, on a parfois tendance à l’oublier, est marqué par le poids de l’histoire : on ne fait réellement du neuf qu’avec du vieux. Entre la logique de l’autonomie et celle de la confédération, l’éternel débat - qui opposa à la CGT les fédérations de métiers et celle des bourses de travail de 1895 à 1902 - se prolonge un siècle plus tard au sein de l’Union syndicale solidaires. Ce fut Léon Jouhaux qui fit sortir la CGT de l’anarcho-syndicalisme de ses origines. Annick Coupé, reconduite dans ses fonctions de déléguée nationale, jouera-t-elle ce rôle là ?
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