La CFTC a tenu son 51ème congrès confédéral du 14 au 18 novembre 2011, à Poitiers. Jacques Voisin a transmis la présidence confédérale à Philippe Louis, jusqu'alors secrétaire général. Le congrès a travaillé sur les positions et propositions pour les trois années à venir. Mais la question essentielle est moins celle de l'actualisation de la doctrine que celle de l'organisation et de la stratégie du développement. La loi du 20 aout 2008 sur la représentativité crée de vrais risques pour la CFTC.
Les débats se sont déroulés dans un climat de calme qui traduisait une absence d’inquiétude aux propos de Jacques Voisin. Un congrès paisible, presque trop par moment, dont les propositions parfois audacieuses étaient accueillies par des applaudissements bien sages. La vraie question était : « Quelle stratégie la CFTC compte-elle mettre en œuvre pour maintenir sa représentativité ? ». La stratégie a pourtant été peu débattue, la CFTC étant persuadée qu’elle atteindra les objectifs fixés par la loi pour conserver sa représentativité.
-Le risque de la représentativité-
Pourtant, les chiffres donnent à réfléchir. La dernière mesure officielle des résultats CE date de 2006 : la CFTC avait plafonné à 6,7% au plan national. Lors des élections prud’homales de 2008, elle n’avait dépassé le seuil de 8% que de 0,7 points (avec 8,71% des suffrages toutes sections confondues). Or ce seuil de 8% est celui qui devra être atteint dans quatre secteurs professionnels pour maintenir la représentativité nationale de la CFTC : industrie, commerce, services et BTP. Il sera calculé en cumulant les suffrages valablement exprimés lors des élections CE dans les entreprises de plus de 50 salariés, lors des élections de représentativité dans les TPE de moins de 50 salariés, et selon leurs règles propres lors des élections dans la fonction publique, où la CFTC n’a obtenu que 4,7% le 20 novembre 2011.
Face à cette réalité, la question majeure du congrès n’a pas été de définir à quelles menaces la CFTC est confrontée aujourd’hui, quelles sont ses forces, mais aussi ses faiblesses, quels sont les objectifs à se fixer, comment la CFTC va s’organiser pour les atteindre. Les enjeux vécus du congrès étaient davantage d’établir un bilan de l’activité écoulée, de renouveler les instances dirigeantes, de fixer des orientations d’avenir et des axes de développement. Il a donc été principalement question du programme de la CFTC, comme s’il était suffisant par lui-même pour enrayer toute menace sur sa représentativité.
-Un programme confédéral innovant-
Ce programme apparaît innovant en de nombreux points. Il s’appuie tout d’abord sur une réaffirmation claire des valeurs de la CFTC : le respect de la dignité de chaque personne, la juste place de l’homme dans l’entreprise, l’économie et la société, la valeur créatrice du travail, l’enjeu d’une conciliation harmonieuse entre vie professionnelle et vie personnelle, l’attachement à la dimension spirituelle de la personne. L’histoire de la CFTC a également été invoquée à plusieurs reprises pour soutenir l’affirmation de ses valeurs. C’est donc au nom des valeurs sociales chrétiennes qu’il s’agit de défendre la personne dans sa dimension humaine et spirituelle contre les lois des marchés financiers.
C’est à ce titre que des propositions ont été faites. Morceaux choisis des revendications de la CFTC :
la création d’un passeport individuel de compétence et la simple suspension du contrat de travail en cas de mobilité professionnelle pour permettre de se tester dans un autre emploi, la mise en place d’un « chèque formation » pour une formation tout au long de la vie sous le contrôle du CE ;
la mise en place d’une assurance dépendance obligatoire à laquelle le salarié serait affilié dès le début de la carrière professionnelle ;
la généralisation de la participation des salariés à la gestion des entreprises avec un tiers des postes des conseils de surveillance réservés aux salariés ;
une représentation du personnel au plus près des salariés au dans les bureaux, services, ateliers, sous la forme d’ateliers d’expression animés par les DP ;
l’obligation de provisionner dans les comptes de l’entreprise le risque social afin de maintenir les salaires en cas de crise économique ;
la protection des entreprises face aux OPA sauvages en mettant les dirigeants à l’abri des prises de contrôle boursier par la création d’un statut de SA à gestion salariale, avec une majorité des droits de vote attribuée aux salariés qui éliront leurs dirigeants, et des actionnaires apportant à l’entreprise un financement sans intervenir dans sa gestion ;
le pouvoir pour les syndicats de salariés de poursuivre les dirigeants en justice pour « délit de tromperie » en cas de manquement aux engagements pris vis-à-vis des salariés ; la création d’un droit de retrait éthique des salariés qui refusent de participer à la mise en œuvre de licenciements économiques non justifiés (à l’instar de la clause de conscience qui existe pour les journalistes) ;
le retrait des dispositifs liés au concept d’employabilité qui réduisent les individus au rang d’instrument adaptable aux besoins du marché ;
la mise en place d’un juste revenu définit par une instance paritaire chargés de fixer le niveau annuel du SMIC ;
l’adoption d’un label de traçabilité sociale garantissant les conditions de travail des salariés dans la production des biens et des services, et attribué par une instance indépendante.
-Une organisation resserrée-
Mais la mise en œuvre de ce programme fleuve nécessite une organisation militante sachant traduire les propositions en revendications. C’est précisément là que des faiblesses sont apparues, à l’occasion de la discussion du rapport d’organisation et de développement. Faisant le constat de la faiblesse de ses forces militantes, la CFTC a décidé de placer entre les mains des unions régionales l’animation de la vie syndicale autrefois dévolue aux unions départementales et aux unions locales. Ce déplacement des lieux de pouvoir fait écho à la réduction du nombre des fédérations, qui sont passées en cinq ans de 19 à 14. La concentration des moyens au sein de fédérations et d’unions régionales plus fortes peut être un gage d’efficacité. Elle risque aussi de produire cet éloignement du terrain déjà constaté à la CFDT, qui a adopté cette structuration depuis longtemps. Or le dernier congrès confédéral de la CFDT a justement souligné la distance qui s’était creusée entre les instances dirigeantes et les équipes militantes de la base... Si les mêmes causes produisent les mêmes effets, il n’est pas sûr que cette réforme profite plus à la CFTC. Comme par un pressentiment, le rapport d’organisation et de développement n’a été adopté, après un débat avorté qui a failli se terminer en algarade, qu’avec 78% des voix, le plus faible score du congrès.
La mise en œuvre d’un programme, ce sont aussi des hommes. Pour succéder à Jacques Voisin, président sortant, le congrès a choisi celui que ses instances dirigeantes avaient laborieusement mis sur orbite, le secrétaire général Philippe Louis, après que le Bureau confédéral et le Conseil confédéral sortant aient choisi puis récusé coup sur coup dans les mois précédents la vice-présidente Gabrielle Simon et le président de la Caisse nationale d’allocations familiales Jean-Louis Deroussen. Philippe Louis, nouveau président de la CFTC, sera entouré de Pascale Coton comme secrétaire générale et Bernard Sagez comme trésorier, en remplacement de Pierre Mencès, qui figurait pourtant dans la garde rapprochée de Philippe Louis mais que le congrès n’a pas reconduit lors du vote. Ce dernier a cependant été « repêché » et siège au Bureau confédéral comme secrétaire général adjoint.
-La question des moyens financiers-
Enfin, mettre en œuvre un programme, c’est aussi le financer. La CFTC n’a pas dérogé à l’obligation légale de transparence financière imposée par la loi de 2008. Les comptes de la Confédération ont été présentés au congrès, même si les comptes consolidés incluant les bilans des instances fédérales ou territoriales n’existent pas encore. Les comptes des fédérations sont d’ailleurs des cassettes bien gardées, que la CFTC aurait souhaité s’accaparer en faveur d’une modification des statuts de la confédération lui donnant un titre de propriété sur les biens de ses structures affiliées « en cas de désaffiliation ». Face à la bronca des fédérations, ce point litigieux a été retiré de l’ordre du jour. A Poitiers, seuls les comptes certifiés de l’année 2010 ont été diffusés, ce qui rend un peu vain l’exercice d’une analyse détaillée des finances confédérales d’une année sur l’autre. Il en ressort un endettement à hauteur des trois quarts du bilan (16 millions d’euros de dettes pour un total de 20,7 million d’actif), mais un résultat d’exercice bénéficiaire de 77.000 euros contre une perte de 50.000 euros en 2009. Un circuit unique de collecte des cotisations a été mis en place de façon informatisée. Il révèle que les cotisations de 2010 se sont élevées à 1,8 millions d’euros, alors que les subventions ont représenté 10,5 millions d’euros. La CFTC n’est pas la seule des organisations syndicales françaises à vivre ainsi de l’argent public. Enfin, en 2011, la CFTC a acheté un immeuble à Pantin pour devenir le siège confédéral, cette opération sera donc comptabilisée dans les comptes du prochain congrès.
La CFTC se présente à l’issue de ce congrès comme une organisation en ordre de marche pour livrer la bataille de la représentativité : des valeurs réaffirmées, un projet ambitieux, des structures opérationnelles. Comme dit le dicton, c’est au pied du mur qu’on voit le maçon.
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