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Photo du rédacteurChristophe Maillard

Aux origines de l'anarcho-syndicalisme

Dès ses origines, le mouvement syndical français a été traversé par des conceptions différentes de l'action collective : conception réformiste, conception socialiste, conception anarcho-syndicaliste. Cette dernière a eu un rôle marquant sur les débuts de la CGT. C'est ce que rappelle ici Christophe Maillard, de l'IUFM de Besançon et co-auteur du livre « Les forces syndicales françaises » (PUF, 2010, 490 pages).


L’anarcho-syndicalisme, ou syndicalisme révolutionnaire, est un courant anarchiste qui donne pour rôle aux syndicats de transformer la société. Chaque syndicat doit fédérer par branche d’activités l’ensemble des travailleurs et conduire à trois objectifs : 1. la disparition du salariat et du patronat, 2. la suppression de l’État, 3. l’autogestion, le mutualisme et le fédéralisme, nouveaux piliers de la société.


Le syndicalisme révolutionnaire a un but politique universel : créer une nouvelle société sans classe, pacifique et autogérée. L’arme de ce bouleversement est la grève générale : un jour, dans le monde entier, tous les travailleurs arrêteront le travail et rejetteront leurs chaînes. Ce sera le début d’une nouvelle ère sans « dieu ni maître ».


L’anarcho-syndicalisme reçoit une grande audience en France, pays largement marqué par l’influence de Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) ou de Charles Fourier (1772-1837). Influencé aussi par des penseurs anarchistes étrangers comme Pierre Kropotkine (1842-1921) et Errico Malatesta (1853-1932), Fernand Pelloutier (1867-1901) crée en 1892 la Fédération des Bourses du travail, qui regroupe un ensemble de structures assurant aux adhérents des services complets en cas de difficultés (maladie, chômage), permettant aux plus âgés de prendre une retraite et donnant au plus grand nombre un accès à la culture et à l’instruction. Les bourses sont gérées par des membres élus et révocables à tout moment. Toute dérive autoritaire est ainsi évitée. Le monde ouvrier se dote ainsi d’une véritable contre-société tout en préparant le Grand soir. La Fédération de Fernand Pelloutier se regroupe avec d’autres syndicats et donne naissance en 1895, à la Confédération Générale du Travail (CGT). Très vite, la CGT devient la principale organisation syndicale française regroupant 300 000 adhérents en 1914.

La Charte d’Amiens

En 1906, la Charte d’Amiens consacre l’influence de l’anarcho-syndicalisme en France : ce texte, devenu depuis quasiment mythique, met en avant l’indépendance du syndicat face aux partis politiques, et rappelle la nécessité de changer la société à partir des travailleurs. Rédigée par le secrétaire général de la CGT, Victor Griffuelhes (1874-19221), et l’anarchiste Émile Pouget (1860-1931), la charte marque durablement l’histoire syndicale française. Elle reste la référence des principaux syndicats actuels.



Pourtant, malgré cet indéniable effort de structuration, le courant syndical révolutionnaire est petit à petit marginalisé. En effet, à partir du début du XXème siècle, la lutte est intense entre partisans de l’autonomie syndicale et partisans du socialisme au sein de la CGT. Ces derniers pensent que le syndicat est un outil aux mains des élites politiques ; la révolution sociale ne pouvant se faire que grâce à l’intermédiaire d’un État fort, au service de la classe ouvrière. Cette vision est ardemment défendue par les guesdistes, influencés par les thèses marxistes. Pour ces derniers, le syndicat ne peut mener à son terme une transformation sociale de grande ampleur : ce n’est qu’un outil aux mains du parti socialiste, seule organisation capable de guider les masses ouvrières.

Le mythe de la grève générale

La victoire relative des grévistes lors de grands mouvements sociaux qui ont lieu à partir de 1906 ne suffit pas à faire triompher les conceptions syndicalistes révolutionnaires. Le mythe de la grève générale est battu en brèche à plusieurs reprises. Le 19 mai 1906, la CGT appelle à la grève nationale pour la journée de travail de huit heures. C’est une première dans l’histoire du pays. La répression est violente, le résultat mitigé. D’autres grands conflits sociaux font de nombreuses victimes sans atteindre les objectifs escomptés : à Raon-l’Étape en 1907, ou encore à Draveil et Villeneuve-Saint-Georges en 1908.



Le véritable reflux du syndicalisme révolutionnaire est lié à l’émergence d’un pôle politique concurrent, le parti socialiste. En 1905, l’unification des courants socialistes dans un seul et même parti, la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), oblige la CGT à se concentrer sur des objectifs immédiats concernant l’amélioration de la vie des travailleurs. En effet, la jeune SFIO devient porteuse des espoirs d’une partie des travailleurs qui n’attendent plus de leurs syndicats une révolution sociale et politique. Les salariés utilisent les urnes pour améliorer leur sort et se rangent à l’idée que des hommes comme Jean Jaurès (1859-1914) ou Jules Vaillant (1840-1915), pourront, en devenant parlementaire, changer le visage du pays. Le parlementa­risme remplace l’attente du Grand soir, même si ce dernier reste un objectif symbolique et mobili­sateur très fort, omniprésent dans les discours militants de cette époque.


L’anarcho-syndicalisme devient alors très peu influent. Le ralliement en 1914 de la CGT à l’Union sacrée achève les derniers espoirs des ultimes croyants en la toute-puissance des syndi­cats comme principaux acteurs de la transformation sociale.





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