Conciliation, médiation et arbitrage sont très pratiqués en Europe pour sortir d'un conflit du travail. Ce n'est pas le cas en France, où la culture du conflit et l'intervention fréquente de l'Etat dans les grands conflits du travail entravent le développement de ces formules.
Une récente proposition de loi d’origine communiste et Front de gauche a fait couler beaucoup d’encre, en proposant une amnistie des délits commis par des salariés dans le cadre d’un conflit collectif. L’apparition d’une telle proposition illustre deux faits caractéristiques de la culture française des relations sociales : « seule la lutte paie » d’une part, et « le législateur peut tout » d’autre part. Cette culture singulière fonde le primat du rapport de forces sur la négociation et reconnaît la place centrale de l’Etat dans les relations collectives de travail.
Le code du travail prévoit plusieurs modalités de résolution des conflits collectifs : la conciliation, la médiation et l’arbitrage. En outre, il stipule que la négociation directe entre les parties en conflit reste possible à tout moment dès lors qu’elles en prennent l’initiative. Cette manière informelle de négocier l’issue d’un conflit, aboutit à ce que l’on nomme généralement un « protocole de fin de conflit ». Il s’agit soit d’un accord collectif, signé par un ou plusieurs délégués syndicaux, soit d’une décision unilatérale de l’employeur, qui établit les dispositions décidées pour mettre fin au litige. Ces accords prennent acte des éventuels acquis obtenus par les salariés en grève, mais aussi des conditions de reprise du travail, qui comprennent souvent l’abandon des poursuites judiciaires et des sanctions disciplinaires, et parfois l’étalement du non-paiement des jours de grève. Selon la jurisprudence, les avantages attribués par un protocole de fin de conflit s’appliquent à tous les salariés, grévistes ou non.
- Conciliation - médiation - arbitrage -
La conciliation est prévue par le Code du travail. Il s’agit d’une procédure selon laquelle les parties soumettent le différend qui les oppose à une commission, composée paritairement de représentants des organisations patronales et des organisations syndicales. Les conventions collectives de branche ou même les accords collectifs d’entreprise peuvent contenir une clause instituant une procédure de conciliation sur tous les sujets en rapport avec la convention ou l’accord en question. Les commissions conventionnelles sont généralement composées des personnes ayant participé à la négociation de la convention. Elles peuvent intervenir dans le cadre d’une commission d’interprétation ou d’une commission de conciliation. La commission de conciliation a pour but de prévenir le recours à la grève en cherchant une solution au litige. En cas d’absence de procédure de conciliation dans la branche ou dans l’entreprise, les conflits collectifs peuvent être portés devant une commission nationale ou régionale de conciliation. La procédure légale de conciliation est simplement facultative.
Il existe aussi un pouvoir de conciliation de l’inspecteur du travail qui s’applique de manière spécifique aux conflits collectifs. La partie la plus diligente (employeurs ou salariés) doit lui faire part de l’existence du conflit. L’inspecteur du travail dispose alors d’un pouvoir de conciliation, mais uniquement pour aider à la négociation, tout en laissant aux parties la responsabilité d’un éventuel accord. Si la tentative de conciliation se termine par un procès-verbal de désaccord, la voie reste ouverte aux procédures facultatives de médiation et d’arbitrage.
Tanja Sussest (SIA, syndicat majoritaire) et Jean-Pierre Mercier (CGT), syndicalistes de PSA Aulnay rencontrent le Président de la République le 20 septembre 2012
La médiation est une procédure par laquelle une personnalité est désignée pour son autorité ou ses compétences, afin de proposer aux parties des solutions au litige qui les oppose, sous la forme de recommandations. La demande de médiation peut émaner de chacune des parties en conflit. Le médiateur est alors choisi conjointement par l’une et l’autre. A défaut, il est désigné par l’administration sur des listes nationales ou régionales de médiateurs. A l’issue de sa mission, le médiateur soumet aux parties des recommandations motivées en vue du règlement du conflit, dans un délai d’un mois à compter de la désignation. Les recommandations du médiateur n’ont aucun caractère obligatoire. Les parties peuvent les rejeter mais ce rejet doit être motivé.
L’arbitrage est une autre procédure de règlement des conflits collectifs selon laquelle les parties soumettent leur litige à une entité désignée par elles-mêmes. L’arbitre est choisi par accord ou selon des modalités établies entre les parties. Il statue « en droit » sur les conflits portant sur l’interprétation et l’exécution des lois, des règlements, des conventions collectives ou des accords d’entreprise. Il statue « en équité » sur les autres conflits. L’arbitre rend une sentence mettant fin au conflit, qui doit être motivée et qui est susceptible d’un recours devant la Cour supérieure d’arbitrage.
- L’échec de la lutte -
Les ressources du code du travail sont donc variées en matière de règlement des conflits. C’est pourquoi il serait paradoxal que le législateur introduise dans la loi une mesure spéciale d’amnistie des délits commis dans le cadre d’une grève. Les lois d’exception ne sont jamais une bonne chose, surtout quand le droit commun est si peu appliqué. Il reste à noter que le recours extrêmement faible à la conciliation ou à l’arbitrage démontre la persistance des deux caractéristiques françaises énoncées au début : la culture du conflit et le poids de l’Etat.
Ni l’un ni l’autre, pourtant, n’ont donné la preuve d’une efficacité supérieure. Deux affaires récentes en apportent l’illustration. A l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois, destinée à la fermeture, un plan social a fait l’objet de négociations avec les syndicats en amont de la consultation des instances représentatives du personnel, que le code du travail instituait comme unique interlocuteur de l’employeur jusqu’à la loi du 14 mai 2013. Le 12 février dernier, l’ensemble des syndicats représentatifs de l’entreprise, à l’exception de la CGT, approuvait un accord qui fut ratifié par le CCE le 13 mars suivant. Le CE de l’usine d’Aulnay l’a également validé, les cinq CHSCT du site renonçant à un projet d’expertise sur les risques psycho-sociaux. Pourtant, l’opinion aura surtout retenu la grève déclenchée par la CGT et SUD le 12 janvier, qui s’est terminée le vendredi 17 mai après quatre mois de conflits.
Quel en fut le bénéfice pour les salariés grévistes ? Rien de plus que ce que l’accord, non signé par la CGT, accorde à tous les salariés du site. Quatre mois de grève pour rien, ce qui a fait dire à Jean-Pierre Mercier, délégué CGT d’Aulnay et dirigeant du parti trotskiste Lutte Ouvrière : « Le protocole de fin de grève signé avec la direction ne règle aucun problème sur l’emploi et les indemnités financières. (Libération, 17 mai 2013) ». La CGT aura entrainé 130 salariés sur 3300 dans un conflit dont elle sort sans résultat tangible.
- L’impuissance de l’Etat -
A Amiens, l’usine Goodyear Dunlop est, elle aussi, vouée à la fermeture. La CGT et SUD avaient refusé il y a quatre ans un accord d’organisation du temps de travail proposé par la direction en échange du maintien de l’emploi. Après des semaines de grève et de nombreuses péripéties judiciaires, les 1173 salariés devront quitter l’usine, aucun repreneur ne s’étant manifesté. Cet échec est aussi celui de l’Etat, qui a cru que le discours politique était plus puissant que les réalités économiques.
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, en visite sur le site de Goodyear Amiens-Nord, en septembre 2011
Après avoir ferraillé avec le PDG du groupe américain Titan, le Ministre du redressement productif a fini par reconnaître le caractère inéluctable de la fermeture du site, se bornant à demander des mesures d’accompagnement « exemplaires ». Après l’aciérie de Florange et la raffinerie Petroplus de Grand Couronne, cette troisième fermeture d’usine fixe les limites de l’action du pouvoir politique, dont il serait vain d’attendre plus que ce qu’une grève procure aux salariés. Avec l’effacement des deux mythes de la lutte et du rôle de l’Etat, la négociation va peut-être pouvoir trouver sa place dans le règlement des conflits du travail.
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