Il y a cent ans au congrès de Lille (25 au 30 juillet 1921), la CGT connaissait sa première scission.
Entre 1921 et 1947, la CGT a connu deux réunifications et deux autres scissions. La raison de ces déchirures est, à chaque fois, la même : l’indépendance de l’action syndicale face au noyautage de ses structures par le Parti communiste.
La première scission en 1921 donna naissance à la CGTU.
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Malgré les affrontements entre révolutionnaires et réformistes tant dans la SFIO que dans la CGT, les uns comme les autres avaient un intérêt bien compris à rester dans les mêmes organisations. Les organisations syndicales agissaient de manière autonome, parfois en complémentarité, parfois en concurrence, avec les organisations politiques. La guerre de 1914-1918 vient briser cet équilibre. Le ralliement à l’Union sacrée de la majorité de la CGT et de la SFIO vient tirer un trait sur deux décennies de propagande pacifiste et ou antimilitariste. Des minorités éparses et hétéroclites tentent de structurer des oppositions mais demeurent désunies en raison de la forme même de leur opposition : pacifisme, défaitisme révolutionnaire, antimilitarisme. La question sociale redevient d’actualité lors des grèves de la fin de l’année 1916 et surtout du printemps 1917, laissant espérer à la minorité hostile à la guerre une recomposition politique.
L’agitation sociale donne des espoirs mais, les mouvements sociaux demeurent pour l’essentiel corporatifs. À partir d’avril mais plus encore après novembre 1917, les transformations de la situation russe permettent de projeter des réalités variables selon les visions politiques. Les bolcheviques qui viennent de prendre le pouvoir apparaissent pour certains comme des farouches opposants à la guerre. La paix séparée de Brest-Litovsk est un élément supplémentaire de leur hostilité au conflit même si la signature du traité a soulevé l’animosité d’une partie des socialistes français.
Avec l’armistice du 11 novembre 1918, une nouvelle configuration se fait jour tant sur le plan social que politique.
- Près de deux millions de syndiqués -
Sur le plan social, le mouvement syndical et plus largement le monde ouvrier réclame son dû après les sacrifices effectués pendant la guerre. Les organisations ouvrières connaissent une forte croissance. La CGT passe entre 1918 de moins de 600 000 membres à 1 5000 000 membres et près de 2 000 000 début 1920.
Les mouvements sociaux sont particulièrement conflictuels. Alors que l’Assemblée nationale vote les huit heures et la semaine de six jours, une partie des syndicalistes considèrent qu’au vu des efforts consentis pendant la Première Guerre mondiale, le compte n’y est pas. Des syndicats de la région parisienne appellent à manifester pour obtenir la semaine anglaise le premier mai 1919. A la demande de Clemenceau, le préfet Fernand Raux fait interdire toute manifestation. Les syndicats de la Région parisienne de la CGT bravent les consignes préfectorales et plusieurs rassemblements ont lieu dans la capitale. Quelques minutes après le départ du cortège place de l’Opéra des affrontements ont lieu. La police veut disperser le rassemblement sans visiblement avoir perçu, le nombre et l’ampleur du rassemblement. Une journée d’émeute et d’affrontements violents s’en suit. Un manifestant, Charles Lorn, s’écroule victime d’un tir de policier. Un deuxième manifestant meurt le lendemain. Léon Jouhaux est lui-même molesté. Jusque tard dans la soirée la capitale et plusieurs villes de province se couvrent de barricades. Pour les syndicalistes, cette explosion sociale est la preuve d’un renouveau de la combativité ouvrière.
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Gaston Monmousseau (1833-1960) secrétaire général de la CGTU de juin 1922 à novembre 1932
En juin 1919, la Fédération des métaux de la CGT et l’Union des industries métallurgiques et minières signent un accord sur la semaine de travail, provoquant le mécontentement de la majorité des syndiqués. Le 1er juin, plusieurs dizaines de milliers de métallurgistes font grève. Ils sont rejoints par les agents des transports en commun de la région parisienne. Le nombre de grévistes augmente jusqu’au 7 juin. Dans les organisations syndicales, des divisions se font jour entre révolutionnaires qui veulent transformer le mouvement en insurrection et une majorité des représentants syndicaux qui souhaitent obtenir des accords. Les uns et les autres s’accusent de trahison et d’irresponsabilité.
- Tensions à la CGT -
Alors que la CGT connaît une croissance importante de ses effectifs et du nombre de ses syndicats, le climat dans l’organisation commence à se tendre. Le congrès de la CGT tenu à Lyon entre le 15 et le 21 septembre 1919, vient montrer des aspirations contradictoires. La majorité Jouhaux représente 908 mandats sur 1207 et se trouve confortée dans sa stratégie de négociation. Même faible, la minorité se structure. En décembre 1919, les Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR) construisent une minorité opposée à la direction confédérale. Pilotés notamment par l’institutrice Marie Guillot et le correcteur Pierre Monatte, les CSR s’appuient sur les réseaux de La Vie ouvrière qui regroupe quelques syndicalistes révolutionnaires mais s’élargissent rapidement aux autres minorités syndicales.
Les élections politiques de novembre 1919 viennent traduire une situation paradoxale. Les socialistes progressent en voix mais régressent en nombre de sièges à l’Assemblée. Au sein de la SFIO, la minorité révolutionnaire grandit aussi. L’aspiration révolutionnaire se concrétise surtout dans le monde politique alors que le militantisme syndical est marqué par davantage de prosaïsme.
Un nouveau conflit social sert d’accélérateur : la grève des cheminots de 1920. Chez les cheminots de Périgueux, un incident provoque une grève générale d’une semaine en février 1920. Les négociations menées par la direction aboutissent à un accord. Une nouvelle fois, les minoritaires de plus en plus nombreux estiment qu’il était possible d’obtenir davantage. En outre, sur le plan politique les choses évoluent rapidement. Le congrès de Strasbourg de la SFIO se prononce formellement pour l’adhésion à l’Internationale communiste, qui vient d’être fondée à Moscou.
Les débats autour de l’adhésion à la nouvelle Internationale animent les sections socialistes. Ils se cristallisent autour de la question de l’adhésion à la Troisième internationale. Très peu s’interrogent sur les conditions d’adhésion à cette dernière et ils sont encore moins nombreux à lire les textes concernant le mouvement syndical, qui doit être selon les décisions du Premier congrès subordonné au Parti ou à l’Internationale. Chez les militants déjà convaincus de la nécessité de l’adhésion à la Troisième internationale, il s’agit de défendre la Révolution en tentant d’organiser les conditions.
Sur le plan syndical, en avril, les minoritaires deviennent majoritaires chez les cheminots de telle manière qu’ils accélèrent les préparatifs de la grève pour des revendications de salaires et sur les conditions de travail. Dès lors deux stratégies concurrentes se distinguent : celle de la majorité confédérale, animée dans la fédération des cheminots par Marcel Bidegaray et celle de la nouvelle majorité fédérale, piloté par Gaston Monmousseau. La date du 1er mai 1920 est retenue pour la grève générale. La majorité confédérale souhaite mettre en valeur des aspects corporatifs et sociaux pour ensuite développer des considérations politiques. Dans l’ensemble, les travailleurs soutiennent cette journée revendicative. Chez les cheminots, la grève prend vite de l’ampleur mais contrairement aux espérances des minoritaires, les autres corporations ne prolongent pas le mouvement. Les cheminots affrontent alors seuls les compagnies de chemin de fer. Après trois semaines de grèves, c’est l’échec. Les conséquences entraînent des révocations massives dans le personnel. Les cheminots expulsés fournissent à l’échelle locale l’armature du Parti communiste qui sera fondé à la fin de l’année. La grève ravive aussi l’idée syndicaliste révolutionnaire de la fin du capitalisme par la grève générale. Mais, cette option tourne cours et pour nombre de militants se substitue le modèle révolutionnaire bolchevique d’organisation. En outre, l’échec de la grève des cheminots a un impact direct sur les taux de syndicalisation. En l’espace de six mois la CGT perd plus la moitié de ses membres chutant à moins de 1 000 000 de syndiqués.
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Le 18e congrès de la SFIO, Parti socialiste, à Tours du 25 au 30 décembre 1920
A la même période, les responsables socialistes Cachin et Frossard se rendent à Moscou au nom du Parti socialiste unifié pour le congrès de la IIIe internationale qui se tient en juillet 1920 et en reviennent enthousiastes. Ils surtout préoccupés par le sens général que prend l’Internationale sur les alliances et sur le rapport à la social-démocratie. Par un autre canal, trois autres responsables se rendent à Moscou : Raymond Lefebvre représentant la minorité déjà acquise aux communistes et proche de Fernand Loriot dans la SFIO et deux militants des Comités syndicalistes révolutionnaires : Marcel Vergeat et Jules Lepetit. Les trois ne reviennent pas de Russie, ils meurent dans des circonstances mystérieuses alors que les deux syndicalistes sont extrêmement critiques sur le phénomène révolutionnaire russe.
- Vers le congrès de Tours -
C’est dans ces circonstances que le Comité confédéral national de la CGT de juillet 1920 convoque un congrès qui se tient à Orléans des 27 septembre au 2 octobre 1920. Il s’agit d’y analyser la grève des cheminots et de la désaffection syndicale. La majorité sûre de sa stratégie n’a pas vu les progrès des Comités syndicalistes révolutionnaires. La majorité confédérale est une alchimie complexe faite de militants d’origine libertaire, de socialistes qui ont leur carte à la SFIO sans exercer de mandat et de syndicalistes défendant les intérêts matériels des ouvriers. L’influence des Comités syndicalistes révolutionnaires augmente. Si les minorités ont été longtemps désunies, l’étiquette CSR permet de regrouper des syndicalistes révolutionnaires pré communistes, des anarchistes et des militants sans appartenance politique. Son poids : plus que 691 mandats contre 1482. Une partie des minoritaires est partisane du départ immédiat de la CGT. Elle fonde l’éphémère Confédération des travailleurs du monde animé notamment par Raymond Péricat de la Fédération du Bâtiment et membre par ailleurs du comité pour l’adhésion à la Troisième Internationale. La scission est proche. Mais la plupart des minoritaires restent dans la centrale, espérant inverser le cours des événements. Un autre phénomène s’est opéré pendant ce congrès. Alors que la division entre partisans et opposants de l’Union sacrée est encore vive une partie des anciens opposants à l’attitude de Jouhaux pendant la guerre se rallie à la majorité confédérale à l’image du tonnelier Albert Bourderon (1858-1930), du métallurgiste Aimé Rey (1892-1943), du chaudronnier Alphonse Merrheim (1871-1925) et du mineur Georges Dumoulin (1877-1963). Ils considèrent que l’indépendance du syndicalisme est la valeur centrale de la CGT. A la fin 1920, la minorité continue à progresser, ragaillardie par l’évolution de la SFIO.
- 1920 : la SFIO éclate –
C’est dans ces circonstances de reflux organisationnel et de déclin militant que se produit pour la SFIO le congrès de Tours, qui se déroule du 25 au 30 décembre 1920. Il donne naissance à une nouvelle organisation majoritaire, alors que les socialistes, conduits par Léon Blum et Jean Longuet, font scission en conservant « la vieille maison ». La voie est ouverte pour une transposition terme à terme de la discipline bolchevique en France, alors que la majorité des socialistes qui votent pour l’adhésion à Tours ne voient forcément pas le sens réel du bolchevisme.
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La naissance du communisme français ne pose pas au début de l’année 1921 de question sur la question syndicale. La majorité des socialistes fonctionne encore sur le schéma ancien, même si une partie des militants accepte les conditions proposées par l’IC et son émanation syndicale, l’Internationale syndicale rouge. Si initialement Lénine demande aux communistes de militer dans les syndicats réformistes, les transformations du mouvement syndical international poussent les bolcheviques à adapter leur stratégie et à créer le 15 juillet 1920 le Conseil central des syndicats, l’ébauche de l’Internationale syndicale rouge. Parallèlement, le IIe congrès de l’Internationale communiste exige en août 1920 dans la 9e et la 10e des 21 conditions que:
« 9. Chaque parti […] doit déployer systématiquement et fermement une activité communiste dans les syndicats […]. À l’intérieur de ces organisations, il est nécessaire de créer des noyaux communistes qui, par une activité incessante et tenace, doivent gagner ces groupements à la cause communiste. […] Ces noyaux communistes doivent être complètement subordonnés au parti.
10. Chaque parti […] a le devoir de mener une lutte opiniâtre contre « l’Internationale » des fédérations syndicales jaunes d’Amsterdam. […] Par tous les moyens, il doit soutenir l’Union naissante internationale des Syndicats Rouges qui s’est réunie à l’Internationale communiste.»
Les résolutions du congrès de Tours distillent une vision de l’action syndicale proche du guesdisme et du modèle de domination du syndicat par le Parti. Elles soulignent que le syndicalisme devait « s’ouvrir aux idées communistes » et coopérer « avec le Parti socialiste à la conquête du pouvoir politique et à la formation de l’Etat prolétarien. Par son adhésion à l’Internationale syndicale de Moscou, il marquera qu’il veut collaborer avec l’internationale politique, coordonner avec l’action de cette dernière poursuivre la même œuvre avec les masses d’ouvriers qu’il recrute. »
A la CGT, la menace de scission grandit. Depuis novembre 1920, Georges Dumoulin au nom de la majorité fait adopter une motion au CCN rappelant la Position anti statuaire des CSR, utilisant l’argument que les CSR veulent adhérer à l’ISR et par conséquent à l’IC. Tout au long de l’année 1921, les fédérations excluent des syndicats, qui dans nombre de cas sont réintégrés par les départements et finalemnet peuvent assister aux congrès. Les mécontentements dans la centrale sont grands. Dans l’UD du Nord, plutôt de tradition réformiste, Henri Lauridan prend la tête de l’UD tout en étant minoritaire dans la direction. Les CSR organisent un travail systématique d’investissement de la centrale. Alors que les votes donnent une majorité systématique des trois quarts au 4/5e à la direction confédérale dans les Assemblées locales. Cette majorité ne se retraduit que très imparfaitement dans les mandats nationaux la répartition étant de 53 % contre 47 %.
- Création de la CGTU -
C’est dans ces conditions qu’un nouveau congrès est convoqué. Il se tient à Lille du 25 au 30 juillet 1921. L’issue est incertaine mais la majorité obtient 1572 mandats contre 1325. Il faut noter que les professions à statut et fortement syndiquées ont massivement voté pour la direction. Les débats du congrès autour de la Révolution russe – juste après le massacre des marins de Kronstadt – de la soumission aux directives de l’IC et du rôle des CSR. En septembre Jouhaux après le congrès demande une clarification avec la dissolution des CSR au nom de l’indépendance du syndicalisme. Monmousseau au nom des CSR refuse. La scission est consommée. La question de l’exclusion en cas de double appartenance est définitivement posée. Dans les fédérations, les mises à l’écart ont commencé. La convocation d’un congrès par l’Union des syndicats de la Seine entérine la scission et la naissance de la nouvelle organisation au 1er janvier 1922. Paradoxalement, alors que les minoritaires étaient plutôt favorables à l’adhésion à l’ISR dans un lien organique avec l’IC, ce sont trois libertaires qui prennent la coordination de la nouvelle CGT – Unitaire, hostiles à cette liaison.
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La scission est déjà consommée quand le 1er congrès du PCF tenu à Marseille des 25 au 29 décembre 1921 reprend la formulation du congrès de Tours, affirmant alors l’action conjointe, la coordination, la neutralité politique et l’indépendance du syndicalisme... Tout en soutenant la création de l’Internationale syndicale rouge et la coordination de l’action avec l’internationale communiste.
Les premiers mois de l’année 1922 prennent des formes différentes en fonction des centrales. La CGT qui a conservé son armature tente de remplacer difficilement les pertes. La CGTU est quant à elle confrontée à une lutte de tendances autour de la question de l’indépendance du syndicalisme, de l’adhésion à l’ISR et de sa liaison organique et de la direction de la centrale unitaire.
Les votes des différentes assemblées donnent une majorité favorable à l’adhésion à l’Internationale syndicale rouge et à la majorité pro bolchevique. L’influence du PCF a joué mais surtout le charme d’Octobre a opéré, les militants syndicalistes unitaires considérant que la nouvelle forme d’expression révolutionnaire passait par l’adhésion globale à l’URSS. Les libertaires et les syndicalistes qui avaient espéré recréer une CGT d’avant la guerre sont pour leur frais. Au premier congrès de la CGTU, du 25 juin au 1er juillet 1922 à Saint-Etienne, la majorité des 2 /3 (741/406 voix) se prononce pour la direction pro-communiste. L’année suivante lors d’un congrès extraordinaire tenu à Bourges du 12 au 17 novembre 1923, l’écart est encore plus grand (1114 voix contre 220). La vision politique du syndicalisme a triomphé. La CGTU adhère définitivement à l’ISR. Très vite, et conformément aux demandes de l’IC, la direction suit les directives du PCF et de l’IC. Plusieurs petites scissions ont lieu dans la CGTU. En 1924, suite à la mort de deux militants libertaires – Adrien Clos et Charles Poncet –tués par le service d’ordre du PCF, les libertaires et des syndicalistes sans appartenance marquée quittent la centrale. Certains retournent à la CGT, d’autres fondent la CGT – Syndicaliste révolutionnaire. En 1929 lors d’une initiative lancée par le Comité des 22 pour l’indépendance du syndicalisme, pour retrouver l’unité syndicale des minoritaires de la CGT la quittent pour revenir à la CGT. Il faut atteindre 1934 pour que les deux centrales décident de se réunir.
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