Les grèves SNCF, depuis le début du mois d’avril, sont organisées sur un séquencement inédit : 2 jours de grève puis 2 jours de travail puis 2 jours de grève, et ainsi de suite.
L’expression « grève perlée » est impropre. Elle est pourtant souvent utilisée, à tort. La grève perlée est illicite, ce qui n’est pas le cas à la SNCF en ce moment. Il vaut mieux parler de grèves à répétition.
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Les journées de grève échelonnées d’avril à juin 2018 ont reçu le qualificatif de « grève perlée » par certains observateurs, notamment par la presse écrite et la presse télévisée, en particulier les journaux d’information continue.
Il n’en est rien. Il ne s’agit en aucune manière d’une grève perlée, laquelle consiste à ralentir de manière anormale la cadence de production et n’obéit donc pas à la définition de la grève pour la Cour de cassation. De façon générale, l’exécution défectueuse du travail ne peut constituer un mouvement de grève et l’employeur est alors fondé à sanctionner le salarié exécutant son travail de la sorte, car ce dernier n’est pas un vrai gréviste.
Le droit du travail, comme le droit tout court, est attaché à la précision des qualifications juridiques qui sont les siennes. Le Code du travail étant muet sur la définition de la grève, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation nous précise depuis bien des années que la grève est la cessation collective et concertée du travail en soutien à des revendications professionnelles.
Si, dans le secteur privé, chaque salarié est individuellement titulaire du droit de grève, droit dont la mise en œuvre est collective, et ne requiert aucun préavis, le secteur public, singulièrement les transports publics sont soumis à des règles quelque peu différentes.
- Services public : préavis de grève -
En effet, dans les services publics, lorsque les personnels des entreprises, des organismes et des établissements publics ou privés (lorsque ces entreprises, organismes et établissements sont chargés de la gestion d'un service public), exercent le droit de grève, la cessation concertée du travail est précédée d'un préavis. Le préavis émane d'une organisation syndicale représentative au niveau national, dans la catégorie professionnelle ou dans l'entreprise, l'organisme ou le service intéressé. Il précise les motifs du recours à la grève. Le Code du travail, sur ce point, contient des dispositions expresses.
Le préavis doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève à l'autorité hiérarchique ou à la direction de l'établissement, de l'entreprise ou de l'organisme intéressé. Il mentionne le champ géographique et l'heure du début ainsi que la durée limitée ou non, de la grève envisagée. Pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier.
En l’espèce, la grève SNCF obéit à la définition d’une véritable grève (et non d’un mouvement illicite, son contraire) dans la mesure où la cessation du travail est à chaque fois totale, franche et nette et où un préavis a été déposé, répondant aux exigences légales.
- Grèves à répétition -
L’interrogation qui vient à l’esprit de tous est la suivante : la répétition de préavis de grève, échelonnés, et suivis de jours de grèves à répétition obéit-elle à la définition de la grève ?
La Cour de cassation a eu l’occasion là encore de répondre à cette interrogation légitime : pour elle, l'envoi de préavis de grève successifs pour le même motif ne caractérise aucun trouble manifestement illicite en l'absence de disposition légale l'interdisant et à défaut de manquement à l'obligation de négocier.
En l’espèce, aucune disposition légale, ni dans le Code du travail, ni d’ailleurs dans le Code des transports, n’interdit ce genre de mouvements. On ne saurait non plus reprocher aux organisations syndicales un manquement à leur obligation de négocier. Le fait qu’il y ait de fortes divergences de vues entre les négociateurs ne traduit pas un quelconque manquement de leur part.
Encore une fois, le caractère répété ou intermittent de la grève ne la disqualifie pas juridiquement.
En revanche, se pose la question de savoir si la grève ainsi mise en œuvre ne pourrait dégénérer en abus. Il faut pour cela « que la grève entraîne ou risque d'entraîner la désorganisation de l’entreprise »., précise la Cour de cassation. Et d’ajouter : « la responsabilité d'un salarié ou d'un syndicat à l'occasion … d'un abus du droit de grève, ne peut être engagée qu'à raison du préjudice découlant directement du comportement fautif incriminé ».
Le juge ultérieurement saisi pourrait seul répondre à cette question : mais c’est un autre sujet.
Bernard Gauriau
Professeur à l’université d’Angers
Avocat au Barreau de Paris
À lire dans Les Études sociales et syndicales : Petit glossaire de la grève, par Bernard Vivier – 27 octobre 2010
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