Le 18 octobre, de nouvelles grèves sont annoncées dans le secteur public. Les statistiques sur les conflits du travail en France sont difficiles à cerner. La tendance est clairement à la baisse, essentiellement dans le secteur privé. Pour sa part, le secteur public est toujours fortement sujet à conflits collectifs.
Le projet de service minimum dans les transports (métamorphosé en « loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs » du 21 août 2007), le projet de réforme des régimes spéciaux de retraite et le cortège d’appels à la grève qu’il a produit, les interrogations récurrentes sur le « climat social », qui demeurerait « ultrasensible » (selon une étude récente d’Entreprise & Personnel), conduisent à faire le point sur la grève dans la France contemporaine. Quel est son niveau comparé à celui d’autres pays ? Comment la conflictualité a-t-elle évolué ces dernières années ? Quels sont les secteurs les plus touchés et les motivations de la grève ?
A ces questions - apparemment simples - il n’y a pas de réponse claire au pays de Descartes. La statistique des grèves, plus encore que celle du chômage, soulève manifestement des questions de la part des organismes officiels qui sont censés la produire. Elles soulèvent également des luttes de définition. Selon certains, la statistique des journées de grèves n’aurait plus grand sens. Il conviendrait de prendre en compte d’autres éléments que la cessation collective du travail... d’autant plus que la comptabilité des journées de grève serait partielle, pour ne pas dire aveugle : bien des conflits seraient ignorés des statistiques officielles... Selon d’autres, la grève aurait atteint un plancher historique... sauf dans quelques secteurs. Il existerait aussi une tendance à minimiser la réalité. Les uns et les autres pratiqueraient finalement une rétention d’informations ou diffuseraient, souvent tardivement, des données relativement éclatées, en fonction d’objectifs pas toujours bien précis.
Il faut remonter à 2005 pour avoir une vision relativement complète de la conflictualité en France (on regrettera que seules quelques données éparses aient été diffusées concernant 2006)...
- Des grèves concentrées dans les transports et la fonction publique -
En 2005, le nombre de journées de grève (ou JINT dans le langage statistique : journées individuelles non travaillées) s’est élevé à 639 000 dans le secteur privé et les entreprises publiques. Le secteur des transports a représenté à lui seul 415 000 journées de grève (et la SNCF seule 239 000 journées de grèves, soit approximativement un tiers de l’ensemble).
Rapporté au plus de 16 millions de salariés et agents à statut qui sont concernés, cela représente 39 journées de grève pour 1 000 salariés, ce qui permet à certains d’affirmer que le niveau de conflictualité en France ne serait pas très élevé lorsqu’on le compare à celui d’autres pays européens. Ainsi, en 2004, la France se serait classée au 11ème de l’Union européenne pour ce qui concerne son niveau de conflictualité.
Il reste que ces chiffres ne recouvrent qu’une partie de la réalité car il convient de comptabiliser aussi les conflits dans la fonction publique. En 2005, quelque 1 337 000 journées de grève ont été recensés. Ces chiffres concernent uniquement les fonctionnaires d’État et les postiers. Les données pour les fonctionnaires hospitaliers et territoriaux, de même que celles qui concernent les agents de France-Telecom, demeurent officiellement ignorées.
Les 1 337 000 journées de grève doivent donc être rapportées à une population d’environ 2,6 millions de fonctionnaires d’Etat, postiers (ou assimilés). En moyenne arithmétique, cela signifie qu’un fonctionnaire sur deux aurait fait un jour de grève en 2005. Cela signifie aussi que l’on aurait comptabilisé une moyenne de 510 jours de grève pour 1 000 fonctionnaires en 2005... ce qui paraît assez considérable.
Si l’on ajoute les deux secteurs - privé et entreprises à statut d’une part et fonctionnaires d’autre part -, quelque 1 976 000 journées de grève sont recensées en 2005. Cela représente plus de 100 journées de conflits pour 1 000 salariés. Cela place la France dans le peloton de tête des pays européens pour ce qui concerne le niveau de grève, devant l’Italie, mais derrière le Danemark et l’Espagne (selon des données diffusées pour la période 1998-2004).
On ajoutera qu’il s’agit sans doute de résultats-plancher car : les chiffres pour le secteur privé stricto sensu seraient sous-estimés ; on ne dispose pas des chiffres pour les hospitaliers, pour les agents territoriaux et pour France-Telecom ; tous secteurs confondus, la réalité de la conflictualité - en 2005 - se situe probablement entre 110 et 120 journées de grève pour 1 000 salariés.
- La chute de la conflictualité dans le secteur privé et les entreprises à statut -
Si le niveau de conflictualité demeurait donc élevé en France en 2005, l’essentiel des conflits concernait les fonctionnaires et les salariés des transports, qui cumulaient 88% des journées de grève. En 2006, les grèves contre le CPE (contrat premier emploi) ont été également à l’origine de nombreux arrêts de travail, particulièrement dans la fonction publique et les entreprises à statut.
La tendance est toutefois à la baisse de la conflictualité, hors fonction publique. Des années 1970 à 2005, on passe de 4 millions de journées de grève (en moyenne) aux environs de 500 000 aujourd’hui. De surcroît, les pics repérables en 1995 et, secondairement, en 2003 doivent beaucoup aux entreprises de transport (et notamment à la SNCF). Dans le secteur privé stricto sensu le nombre de journées de grève est inférieur à 1 million en 1995 et à 500 000 en 2003. On se situe donc à des niveaux historiques très bas depuis plusieurs années. Seules les négociations des 35 heures avaient entraîné un léger regain des conflits dans le secteur privé au tournant des années 1990-2000 (voir le graphique 1). C’est la question des salaires qui a motivé le plus grand nombre de conflits en 2005.
Graphique 1 : L’évolution de la conflictualité (hors fonction publique) Echelle en milliers de journées individuelles de grève
Ces données pour le secteur privé sont toutefois sérieusement contestées par certains statisticiens ou sociologues. Le recensement auquel procède l’administration du travail serait en effet partiel. Il conviendrait donc de redresser sensiblement les données (jusqu’à 100% selon certaines hypothèses). Mais ce redressement devrait s’appliquer à toute la série et n’invaliderait pas la tendance. De surcroît, plutôt que de procéder à celui-ci - ce qui semble poser des questions de méthode et de moyens - l’administration du travail a privilégié la publication en 2007 de données issues d’un sondage, relatif à la période 2002-2004.
Cette enquête - consécutive à deux autres du même type dans les années 1990 - aurait permis de détecter une tendance « nouvelle » à la diversification des conflits du travail et à un développement des formes « non classiques » de conflits collectifs (au contraire - donc - de ce qu’indique la statistique des grèves) : grèves perlées (qui ont concerné 1,2% des établissements enquêtés en 2002-2004), grèves du zèle (1,5%), refus des heures supplémentaires (9,6%), manifestations (6,7%), pétitions (10,6%), etc. Cette « conflictualité » affecte notamment les grandes entreprises industrielles, les banques, les entreprises publiques.
En fait, ces formes de conflits collectifs sont traditionnelles mais la statistique n’en a jamais été faite auparavant, de telle sorte qu’il est difficile de savoir si sur le moyen et le long terme cette augmentation est réelle et si elle est significative. De surcroît, les évolutions mises en lumière en 2007 ont été établies sur la base d’un redressement de l’enquête antérieure, relative à la période 1996-1998. Sans ce dernier, les évolutions apparaissent sensiblement différentes (voir le graphique 2).
Les données disponibles sur la conflictualité soulèvent finalement bien des interrogations. Non seulement, elles sont publiées tardivement mais elles demeurent également partielles et, à travers l’affirmation qu’il y aurait émergence de conflits « non classiques » font l’objet d’une « lutte » de définition. Cela étant, le recours à l’action collective demeure marqué dans la fonction publique et les transports. En revanche, il s’est fortement rétracté dans le secteur privé.
Graphique 2 : L’évolution des formes « non classiques » de conflictualité (enquêtes « réponse » de l’administration du travail)
A gauche : base 100 en 1996-1998 (données officielles après redressement) Au centre : base 100 en 1996-1998 (en reprenant les données telles qu’elles avaient été publiées initialement en 2000) A droite : base 100 en 1990-1992
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