Le MEDEF présente son programme aux partis politiques. Il n'est pas pour autant en campagne.
On s’étonne et même l’on s’indigne dans certaines organisations syndicales de salariés que le MEDEF intervienne dans les campagnes électorales de cette année en présentant le programme des mesures qu’il souhaiterait voir prendre, des réformes dont il désire la réalisation au cours de la législature à venir. Aux candidats de dire ce qu’ils en pensent, et aux électeurs, ceux qu’aura éclairés le programme du MEDEF, de choisir en connaissance de cause celui auquel ils donneront leur voix.
Même si cette façon de faire est nouvelle de la part d’une organisation patronale, elle n’a rien d’insolite et il semble même que chacun, partisan ou adversaire, pourrait se réjouir de ce que dans la mêlée confuse - ô combien ! - qui s’annonce, les électeurs aient quelques points de repères un peu solides de plus pour orienter leur jugement.
Mais ce qui étonne le plus de la part de ces critiques venues du mouvement syndical qu’on n’ose plus dire ouvrier, c’est que les orateurs, si péremptoires qu’ils soient, parlent comme s’ils avaient oublié que la méthode adoptée par le patronat a été longtemps la leur et cela, dès l’origine.
Qu’ils prennent les actes du 6ème Congrès national des Syndicats de France tenu à Nantes du 17 au 22 septembre 1894 que l’UD-FO de la Loire-Atlantique a eu l’heureuse idée de rééditer il y a trois ans, enrichis de documents précieux. Ils y trouveront une déclaration du militant qui porta la plus lourde charge dans l’organisation de ce Congrès, Désiré Colombe, dont le nom dit encore quelque chose aux syndicalistes nantais, déclaration qui reflétait la pensée de beaucoup de ses " camarades " comme l’on commençait à dire :
" Le Congrès va voter un certain nombre de résolutions qui formeront tout un programme. Il faut que ce programme ait une sanction. Eh bien, la sanction qui sera proposée et adaptée, la voici : à toutes les élections de tous les degrés, élections sénatoriales, législatives, départementales, municipales, notre programme sera présenté à tous les candidats auxquels cette question sera posée : " L’acceptez-vous ou ne l’acceptez-vous pas ? Nous ne voterons et ne ferons voter que pour les candidats qui l’auront accepté ". De cette façon, nous nous compterons à chaque scrutin et partout, car ce n’est pas seulement dans les villes et dans les petits chefs lieux que nous nous proposons d’opérer ainsi, mais remarquez le bien dans les moindres communes [...] " (op. cit. p. 225-226).
Sauf que le MEDEF n’entend pas le moins du monde compter ses partisans.
Sautons trois quarts de siècle. On est en 1969. Le général de Gaulle a quitté le pouvoir et il faut élire un nouveau président. Ce sera Pompidou. Le 29 avril, le bureau confédéral de la CFDT faisait connaître la position de la Centrale, alors au sommet de sa fièvre révolutionnaire.
" Le syndicalisme est directement concerné par l’élection du président de la République au suffrage universel. A cette occasion, la CFDT entend faire clairement connaître les aspirations des travailleurs et la volonté de changement qui les anime.
" La CFDT rappelle que sa conception d’indépendance du syndicalisme réside moins dans le refus d’intervenir dans les consultations électorales que dans le respect de l’autonomie individuelle du citoyen.
" Depuis des années la CFDT s’efforce de mettre en accord l’acte électoral avec l’action syndicale. Elle considère donc de son devoird’éclairer le choix des travailleurs par des informations, des analyses et par le développement d’une critique sociale. "
Passons sur la CGT, qui, pendant de longues années, lors de toutes les consultations électorales, apporta son appui au Parti communiste et à ses candidats, avec cette seule nuance que, devant les critiques, durant la dernière période, les dirigeants communistes de la CGT prétendaient ne donner qu’à titre personnel leurs conseils de vote. Comme si, quand on est à la tête d’une organisation comme la CGT, on pouvait encore parler à titre personnel, sans engager son organisation.
Il n’est pas jusqu’au sage André Bergeron - assurément celui de tous les leaders syndicaux qui a le plus tenu l’action syndicale en-dehors de toute considération politique - qui, à un journaliste qui lui demandait s’il ne pensait plus que " les hommes politiques sont plus sensibles aux revendications syndicales avant l’élection qu’après ", répondait par l’affirmative.
" Je peux vous dire, par exemple, que j’ai bien l’intention de crier très fort pour qu’on accorde enfin à tous les salariés la cinquième semaine de congés payés [...] Il faut qu’on le sache, nous profiterons de la campagne présidentielle pour obtenir cette cinquième semaine " (Quotidien de Paris, 10 septembre 1980).
Bref, de tout temps, les militants syndicaux ont cru que les campagnes en vue des élections politiques offraient un climat propice pour faire connaître leurs revendications, les faire adopter, les faire avancer. S’ils ont moins tendance à le faire aujourd’hui, c’est peut-être que l’expérience leur a appris que les engagements pris par les candidats ne vivaient pas beaucoup plus longtemps que les roses, l’espace d’une campagne.
C’est ce scepticisme plutôt qu’une indignation - au demeurant stéréotypée - qu’ils devraient opposer à l’entrée en lice du MEDEF.
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