Créé à Marseille en octobre 1879, le Parti socialiste a aujourd'hui 125 ans (et non pas 100 ans). En 1905, il procéda à l'unification des différentes tendances qui s'étaient violemment affrontées depuis sa création. En 2005, ces tendances sont toujours représentées.
On ne voyait plus très bien ce que les socialistes ont conservé de la doctrine traditionnelle du socialisme, et voilà qu’on peut se demander s’ils n’ont pas oublié toute une partie de leur histoire. Ils s’apprêtent, en effet, à célébrer le centième anniversaire de la création de leur parti, ce qui revient à raccourcir d’un quart de siècle sa longue histoire.
Malgré ses prétentions à une nouvelle naissance lors du Congrès d’Epinay en 1971, on admettra sans peine que le Parti socialiste d’aujourd’hui continue le Parti socialiste SFIO - Section française de l’Internationale ouvrière - qui vit le jour au congrès de la salle du Globe, boulevard de Strasbourg, les 23, 24 et 25 avril 1905, il y a donc cent ans. Mais à ce congrès, il n’y eut pascréationd’un parti à partir de rien, il y eut unification « les socialistes unifiés », et même réunification d’un parti créé vingt cinq ans plus tôt et que des conflits de tactique et de personnes avaient scindé très tôt en plusieurs écoles rivales, pour ne pas dire ennemies.
Des congrès ouvriers au Parti socialiste
LaFédération du Parti des Travailleurs socialistes- ce fut le premier nom du parti - avait été créée, ses statuts votés lors de la troisième session du congrès ouvrier réuni à Marseille en octobre 1879. Ce congrès ouvrier n’était pas celui d’une organisation, mais une espèce de convention, théoriquement annuelle où les syndicats ou chambres syndicales (qui vivaient toujours sous le régime de la tolérance administrative, instauré par Napoléon III), envoyaient librement des délégués, à condition qu’ils fussent des travailleurs manuels, pour confronter leurs revendications et formuler des vœux que chacun s’efforçaient de réaliser dans son action à venir.
Le succès des deux premières sessions de ce congrès ouvrier, en 1876 à Paris et en 1878 à Lyon, donnèrent à différents intellectuels gagnés à une doctrine socialiste encore assez floue, et notamment au journaliste Jules Guesde, l’idée de profiter de ce congrès pour faire adopter leurs conceptions collectivistes par des organisations ouvrières. Guesde avait tenté déjà une opération de ce genre sur la deuxième session du congrès tenue à Lyon en 1878 et, enhardis par cette première tentative qui n’avait pas été tout à fait un échec, lui et ses amis entreprirent une opération de plus large envergure.
Profitant de la complicité des jeunes militants ouvriers de Marseille, déjà socialistes, à qui le congrès de Lyon avait confié le soin d’organiser la troisième session, ils firent ouvrir le congrès, non seulement, aux représentants d’organisation syndicales mais à ceux decercles d’études socialesqui, mêlant ouvriers et intellectuels (« travailleurs intellectuels ») étaient en réalité des groupes politiques déjà acquis, sous des formes diverses, aux idées socialistes. Ceux-ci vinrent en nombre au congrès et, grâce à un travail fractionnel (comme on ne disait pas encore) guidé pour une large part de l’extérieur, ils obtinrent du congrès d’abord qu’il se proclamât socialiste, ensuite qu’il décidât la création, non pas d’une fédération nationale des syndicats, jugée prématurée, mais d’une organisation politique à l’échelle nationale, laFédération du Parti des Travailleurs socialistesdéjà nommées, dont il fixa les statuts.
La couverture de l’Express du 4 octobre 2004. On y lit "Cent ans après la création du parti de Jaurès". Au lieu de "Cent ans après l’unification du parti".
Malgré sa longueur, il faut reproduire cette pièce qui fonda en France le premier parti politique au sens actuel du mot parti, qu’il n’avait d’ailleurs pas encore au moment du Congrès, comme le prouve le titre adopté, où l’idée d’unité et d’organisation est exprimée par le motfédération, parti ne désignant encore qu’un ensemble informel de gens qui pensent à peu près la même chose et mènent des actions qui vont dans le même sens, sans pourtant dépendre d’un centre directeur commun.
- Article 1er : Il est formé, entre tous les groupes adhérents qui entrent dans l’organisation ouvrière, une fédération de travailleurs socialistes des deux sexes dans le but de rechercher l’application de la Justice en propageant autant que possible les idées émises au sein des congrès ouvriers.
- Article 2 : La Fédération se divise en six régions principales, à savoir, 1° celle de Paris ou du Centre ; 2° celle de Lyon ou de l’Est ; 3° celle de Marseille ou du Midi ; 4° celle de Bordeaux ou de l’Ouest ; 5° celle de Lille ou du Nord ; 6° celle d’Alger ou de l’Algérie.
- Article 3 : Chaque région tient ses congrès régionaux et s’administre comme elle l’entend.
- Article 4 : Toute adhésion à la Fédération doit être transmise au Comité général par le Comité régional.
- Article 5 : La Fédération tient chaque année un Congrès où tous les groupes adhérents pourront se faire représenter. Le Congrès devra se tenir, à tour de rôle, en un centre de chacune de ces régions. Il nommera à la fin de sa tenue un comité de 19 membres qui sera chargé de l’exécution de ses décisions et qui devra se mettre en rapports directs avec toute la fédération. Il se nommera : Comité général exécutif.
- Article 6 : Chaque région a le devoir de présenter au Congrès national un rapport général sur sa situation matérielle et morale.
- Article 7 : Chaque groupe adhérent à la fédération verse entre les mains du trésorier du Comité général, qui doit lui en délivrer un reçu, 0,05Fpar mois ou 0,60F par an et par membre, pour subvenir aux frais. Toutefois, après décision du Comité général, une souscription pourra être ouverte dans les groupes adhérents pour parer aux éventualités diverses qui pourraient surgir.
- Article 8 : Tout groupement adhérent qui s’écarterait de la ligne de conduite tracée par la Fédération pourra en être exclu par le Comité régional auquel il appartiendra. Toutefois, il pourra en appeler au Comité général exécutif.
- Article 9 : Tout groupe adhérent devra être abonné au Bulletin officiel de la Fédération que le Comité général exécutif a charge de faire paraître dès qu’il le pourra. Le prix de son abonnement sera fixé ultérieurement.
- Article 10 : Les statuts pourront être modifiés à la fin de chaque congrès. Toutefois, demande devra être faite au Comité général exécutif, deux mois avant son ouverture.
On aura remarqué au passage l’article 8 qui imposait au parti une discipline de pensée et d’action : c’est le lointain ancêtre ducentralisme démocratique, que les communistes ont rendu tristement célèbre.
C’était la première fois qu’apparaissait en France de façon concrète la notion de parti organisé. Le Parti socialiste n’est pas seulement le plus ancien parti de France. Ce sont ses fondateurs qui ont introduit dans la vie politique française cette notion d’un parti organisé avec ses adhérents, ses groupes de base, ses congrès, sa discipline.
Nombreuses scissions
Cette Fédération se constitua assez rapidement, surtout ses régions du Centre (Paris) et de l’Est (Lyon) mais elle ne tarda pas à se scinder. En 1882, les marxistes purs, entraînés par Jules Guesde, qui dédaignaient les réformes et se concentraient sur la prise révolutionnaire du pouvoir politique se séparèrent des possibilistes, dont le leader était le docteur Paul Brousse, qui pensaient aller au socialisme par le moyen de réformes successives, et notamment, la multiplication des services publics. Les guesdistes formèrent ce qui allait bientôt s’appeler leParti ouvrier français(POF), les broussistes qui avaient gardé en le simplifiant le titre deFédération des Travailleurs socialistesconnurent à leur tour une scission en 1891, les éléments les plus révolutionnaires, sous la conduite de Jean Allemane, fondèrent une troisième école, leParti ouvrier socialiste révolutionnaire(POSR). A ces trois partis qui prétendaient tous être les héritiers authentiques de l’organisation issue du Congrès de Marseille s’était ajouté en 1881 le Comité révolutionnaire central formé par les disciples de Blanqui, sous la conduite d’Edouard Vaillant.
Blanquistes, marxistes ou guesdistes, possibilistes ou broussistes, allemanistes : le parti socialiste était divisé en quatre écoles, sans compter lessocialistes indépendantsqui finirent par se donner une sorte de structure de coordination.
En 1899 un premier congrès général des organisations socialistes qui devait réaliser l’unité échoua, la participation d’un socialiste indépendant Alexandre Millerand au gouvernement ayant porté à l’incandescence l’opposition entre « ministérialistes » et « antiministérialistes ». Jamais encore on ne s’était injurié aussi haineusement entre socialistes de différentes écoles. Il faudra attendre la scission de la SFIO à Tours en 1920 et la création du Parti communiste, SFIC, pour retrouver un pareil flot d’invectives.
Finalement, de cette première tentative de réunification, sortit une simplification de la carte : deux partis, leParti socialiste français, avec Guesde et Vaillant, leParti socialiste de Franceavec Jaurès jusque là « socialiste indépendant » et Allemane. Le premier farouchement révolutionnaire, le second qui ne refusait pas la coopération avec des partis bourgeois, et même la participation au gouvernement.
Cette participation fut condamnée par le Congrès socialiste international d’Amsterdam, dominé par la social-démocratie allemande, alors gardienne du marxisme le plus orthodoxe. Jaurès s’inclina, et ainsi, put se réaliser l’unité des socialistes français, en 1905, sous le nom deParti socialiste Section française de l’Internationale ouvrière, qui se présentait comme un parti de lutte de classe et de révolution.
Les courants demeurent
Parti né vieux, héritier des querelles qui avaient déchiré la Fédération des Travailleurs socialistes constituée vingt cinq ans plus tôt, et où se retrouvaient sous forme de tendances les diverses écoles du temps de la dispersion , tendances qui, après des années d’une cohabitation assez harmonieuse, engendrèrent les scissions de 1920, qui donna naissance au Parti communiste, continuateur des guesdistes et des blanquistes d’autrefois, et celle des néo-socialistes en 1933-1934 dont l’esprit se rapprochait de celui des anciens possibilistes.
On n’aurait pas grand mal à retrouver dans les courants qui traversent aujourd’hui le Parti socialiste de François Hollande, et ce ne serait pas trop artificiel, la survivance ou la continuation des querelles qui éclatèrent au sein de la Fédération du Parti des Travailleurs socialistes, preuve que ce parti n’est pas seulement l’héritier de la SFIO de 1905, mais celui aussi de cette Fédération qui fut créée presque par surprise à Marseille en 1879 - ce qui fait que le Parti socialiste est authentiquement le premier parti politique constitué en France.
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