Le travail est peine autant que réalisation d’une œuvre. Gustave Caillebotte fut un des premiers peintres à s’intéresser aux travailleurs de la révolution industrielle des débuts de la troisième République.
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- 2. Une image du travail : les raboteurs de parquet -
Gustave Caillebotte (1848 – 1894) fut tout à la fois un collectionneur, un mécène et un peintre lié au courant impressionniste de son temps. Son tableau Les raboteurs de parquet fait aujourd’hui partie des œuvres exposés au Musée d’Orsay à Paris.
Refusé au Salon officiel de 1875, le tableau Les raboteurs de parquet est très remarqué dès l’année suivante lorsque son auteur expose son œuvre aux côtés des impressionnistes.
Gustave Caillebotte peint son tableau en 1875. Il a 27 ans.
La famille Caillebotte est originaire de Ger et de Domfront dans la Manche où elle fait commerce de drap depuis le XVIIIème siècle. Installée à Paris sous Louis-Philippe, le commerce prospère, notamment au Second Empire, par la fourniture de draps aux armées (le magasin de la rue du Faubourg-Saint-Denis se nomme « Le lit militaire »).
Le décès du père de Gustave en 1874 place celui-ci à 26 ans en possession d’un héritage confortable.
Tout comme son frère Martial, compositeur et pianiste, ou comme son demi-frère l’Abbé Caillebotte, Gustave n’est pas un héritier oisif.
Se liant aux peintres impressionnistes qu’il soutient par un mécénat amical, discret et significatif, Gustave Caillebotte constitue une collection importante de tableaux. Sa proximité avec Camille Pissarro et avec Auguste Renoir (qui fut son exécuteur testamentaire) est grande. Et aussi avec Manet, Monet, Cézanne, Degas et Sisley.
Peintre lui-même, Caillebotte est aussi passionné de philatélie, de nautisme et d’horticulture.
Le tableau Les raboteurs de parquet est peint en 1875. Une seconde version (1876) se trouve au Danemark. Son succès – qui est aussi la raison de son refus par le Salon officiel de 1875 – tient tout à la fois au sujet traité (des ouvriers en plein travail) qu’à la technique utilisée.
S’intéresser par la peinture au monde du travail n’était pas, en 1875, une démarche considérée. La critique de l’époque regarde Les raboteurs comme elle traite Les repasseuses ou Les blanchisseuses de Degas : avec dédain.
Caillebotte ouvre notre regard sur les premiers ouvriers des villes comme Millet le fit pour les travailleurs des champs (Les Glaneuses) ou Courbet pour les ouvriers des campagnes (Les Casseurs de pierre).
Le tableau exprime tout à la fois la dureté du labeur et la conscience du travail bien fait.
Les ouvriers travaillent à genoux, dans des mouvements coordonnés pour « transformer, centimètre par centimètre, une matière à la fois noble et résistante, le bois. A l’évidence, cette pièce est celle d’un immeuble bourgeois et non pas d’un logis ouvrier : grille de fer forgé à la fenêtre, décoration des murs.
La technique de Caillebotte est très réaliste ; elle ressemble à celle du photographe : cadrage centré sur les trois ouvriers, éclairage à contre-jour, lumière qui met en valeur la musculature déployée, lignes fuyantes qui donnent l’impression que les bras des raboteurs sont plus longs que nature. L’œil du spectateur est capté par ce travail, presque enfermé avec lui.
Nul misérabilisme pour autant dans ce tableau, simplement la description puissante de la dureté du travail.
A la mort de Caillebotte, le tableau fit partie de la donation faite à l’Etat par son auteur. Il rejoignit les collections du musée du Louvre, puis la Galerie nationale du Jeu de Paume avant d’être transféré au Musée d’Orsay à son ouverture en 1986.
- Raboter, racler, affuter : trois gestes du métier -
Kirk Varnedoe, historien d’art américain spécialiste de Caillebotte, explique les gestes ouvriers des Raboteurs, après avoir recherché comment on rabotait un parquet à l’époque.
Avant le rabotage, il faut mouiller abondamment le parquet pour éviter que le bois ne se fendille. Les lignes sombres et luisantes sont donc les parties mouillées, en creux, les lignes claires sont les zones surélevées, à la jonction des lattes que le rabot vient d’araser.
L’ouvrier de droite est chargé de raboter et avance depuis le fond de la pièce. Le marteau à côté de sa main lui sert à enfoncer les clous qui sortent.
L’ouvrier du centre travaille à reculons. Il réalise la seconde étape : égaliser le plancher.
L’ouvrier de gauche se déplace latéralement. Il saisit sa lime pour affuter son racloir.
Et aussi, dans Les Etudes sociales et syndicales
11 juin 2004. Le sens des mots : le travail en perruque
6 décembre 2004. Les jours fériés en France
14 octobre 2005. Les mutations du travail en France.
26 janvier 2007. Jours fériés, foire et festival.
20 mars 2007. Jours ouvrés et jours fériés.
27 juillet 2007. Pages retrouvées : apprendre à se reposer.
23 novembre 2007. Travail et emploi : la confusion permanente.
17 novembre 2008. Le mouvement ouvrier, un élan créateur.
27 mars 2009 : Simone Weil et le travail.
23 juillet 2009. Albert Camus, Simone Weil et le travail.
21 août 2009. Proverbes sur le travail.
27 octobre 2010. Petit glossaire de la grève.
11 février 2021. La grève, entre réalité humaine et rêverie poétique.
7 octobre 2021. Le travail, le mot et l’image 1. D’où vient le mot « travail » ?
- Pour poursuivre la lecture –
On retrouvera dans Les Etudes sociales et syndicales du 17 novembre 2008 l’article de Camille Saint-Jacques sur « Le mouvement ouvrier. Un élan créateur ». En 2008, l’auteur, peintre et enseignant, avait présenté son ouvrage aux auditeurs des « Mardis de l’IST ».
A l’occasion d’une de ses expositions à Montbéliard dans le Doubs, l’artiste était présenté comme « un artiste rare, presque invisible, qui s’ingénie à le rester » (Philippe Dagen, Le Monde 30 juillet 2011).
L’ouvrage est une invitation à observer et à estimer les gestes du travail. Car la main-d’œuvre, nous dit l’auteur, est d’abord une main à l’œuvre.
Ajoutons, comme l’affirme la maison Hermès en cet automne 2021 pour valoriser sa gamme de produits de beauté que « La beauté est un geste », tout comme le disait aussi Nancy Mitford « La beauté, c’est le mouvement gracieux, c’est le sourire et, plus encore, c’est le regard d’une femme belle (L’amour dans un climat froid) ».
Et loin du sonnet de Baudelaire, pourtant magnifique sur La beauté : Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre, (…) Je hais le mouvement qui déplace les lignes.
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