L’édition 2020 de la négociation collective en France et dans les entreprises indique une stabilité dans les thèmes et dans les pratiques du dialogue social. Des évolutions sont observées : davantage d’accords dans les PME, davantage d’accords signés en dehors des syndicats. Et le nombre global d’accords a fortement grandi depuis un an : +30% d’accords d’entreprise.
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C’est le 12 octobre dernier que le Ministère du travail a rendu public son rapport annuel sur la négociation collective en 2019.
On trouvera ici quelques données importantes de ce document de plus de 500 pages, données que nous présentons et commentons après les avoir reliées aux rapports des années antérieures.
1. La négociation nationale interprofessionnelle
À l’évidence, les négociations nationales interprofessionnelles restent en nombre très modeste. La grande période de croissance économique, celle des « Trente Glorieuses » est achevée, qui avait vu se déployer de la fin de la seconde guerre mondiale à la fin des années 1970 de nombreuses négociations importantes.
Au niveau national interprofessionnel, 5 accords ont été signés en 2019, contre 4 en 2018. Il s’agit de 5 avenants à l’accord national interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017 ayant créé un régime de retraite unifié AGIRC-ARRCO à partir du 1er janvier 2019.
Ces 5 accords ont été signés par le MEDEF, la CPME et l’U2P et, pour les organisations syndicales, par la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC et la CGT-Force Ouvrière (et donc, sans la CGT).
Ajoutons à ces accords nationaux 5 autres accords ou avenants signés en 2019 (contre 6 en 2018) au niveau départemental ou régional.
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2. La négociation de branche
Entre 2018 et 2019, la négociation de branche est en net recul de 20% : 1100 accords en 2019 contre 1380 en 2018. Malgré ce recul, le volume d’accords 2019 reste supérieur aux volumes constatés de 2012 à 2016.
La tendance générale sur le moyen terme, depuis dix ans, est relativement stable : entre 1000 et 1400 accords.
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C’est le thème des salaires qui se montre le thème le plus abordé et négocié par les partenaires sociaux.
L’année 2019 se caractérise aussi par des négociations sur la protection sociale complémentaire, sur les départs en retraite ainsi que sur la mise en place et le fonctionnement des comités d’entreprise.
Moins que les années passées, deux thèmes restent présents : l’égalité professionnelle et la formation professionnelle.
Une autre information relative à la négociation de branche mérite d’être relevée : celle de la signature des accords par organisation syndicale.
Comme dans les années passées, c’est la CFDT qui signe le plus de textes (86%), suivie par FO (69%) puis par la CFE-CGC (59,6%) et la CFTC (56,4%). La CGT, en net retrait (39,6%), doit être observée comme en progression de +13% par rapport à 2018 (35,7% cette année-là).
On trouvera ci-après le taux de signature des accords interprofessionnels et de branche par organisation syndicale.
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* Le taux de signature est le nombre d’accords (y compris accords interprofessionnels) signés par une organisation syndicale donnée, rapporté au nombre total d’accords signés dans l’année. Un même texte peut être signé par une ou plusieurs organisations syndicales.
** Données provisoires
Source : ministère du Travail – DGT (BDCC)
3. La négociation d’entreprise
La tendance se poursuit d’année en année : la négociation d’entreprise continue sa progression. L’année 2019 aura été particulièrement active : 103 700 textes signés, soit 28 100 textes de plus qu’en 2019 (données provisoires). L’analyse du bilan 2019 conduit à quatre observations.
1. La négociation collective grandit dans les entreprises de moins de 50 salariés, en progression de dix points par rapport à 2018, soit près de la moitié des textes signés (47%). Les secteurs de commerce et des activités de services aux entreprises représentent près de la moitié des textes. Seuls 7% de ces textes y sont signés par des délégués syndicaux. L’approbation à la majorité des deux tiers des salariés (50%) et la signature par l’employeur seul constituent les modes de conclusion dominants.
2. Les thèmes les plus fréquemment abordés restent les mêmes : 41% sont relatifs à l’épargne salariale (soit quatre textes sur dix), 22% aux salaires, 17% à la durée du travail et 13% aux questions de droit syndical et de fonctionnement des instances représentatives du personnel.
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3. La validation des textes voit le rôle des représentants du personnel se réduire. Les délégués syndicaux, élus ou salariés mandatés sont en proportion moindre (59%), pour signer les textes, que d’autres formes de conclusion, à savoir majorité des deux tiers des salariés (22%) ou décision unilatérale de l’employeur (18%).
Cette baisse de signature par les représentants du personnel est significative : cinq points par rapport à 2018.
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L’enseignement est clair : l’action syndicale se réduit alors même que la négociation d’entreprise grandit en volume et trouve, pour sa mise en œuvre, de nouveaux modes de validation : validation par les salariés ou décision unilatérale de l’employeur.
Autrement dit : peut-on voir le dialogue social se développer en entreprise sans passer par le média que représentent les syndicats ? Les données chiffrées permettent de répondre de façon positive.
Mais cette réponse n’est pas pleinement satisfaisante. Il convient aussi de savoir si le développement de la négociation d’entreprise – amorcée en France en 1982 – satisfait au besoin de régulation sociale pour l’ensemble des entreprises. La réponse est ici beaucoup plus mesurée ; elle pose la question de la négociation de branche. Celle-ci est essentielle pour assurer à toutes les entreprises d’un même secteur d’activité les mêmes règles sociales. La négociation de branche apporte à tous les salariés de la branche, quelle que soit la taille de leur entreprise, des garanties nouvelles. Elle constitue aussi pour les entreprises un dispositif de régulation commun à toutes et contribue à une concurrence plus saine entre elles.
4. La propension à signer les accords d’entreprise est, en France, toujours élevée.
Loin de l’image et des discours déployés par certains leaders syndicaux sur fond de lutte de classes, les militants syndicaux signent de façon massive les accords qui ont été négociés. Confrontés à un sujet précis qui concerne les conditions de rémunération, de travail et de vie de leurs collègues de travail, les délégués syndicaux d’entreprise adoptent un comportement très pragmatique. Un « petit plus » maintenant, acté par leur signature, vaut mieux qu’un « grand beaucoup » conditionné à la réalisation d’un Grand Soir hypothétique.
Les taux de signature sont le résultat combiné de plusieurs facteurs : l’intensité de l’activité des délégués et des sections syndicales, les positionnements adoptés à l’égard des politiques économiques et sociales de leur entreprise, le degré d’implantation et l’audience aux dernières élections professionnelles. Identique en 2019 par rapport à 2018, ces taux de signature sont très stables dans la durée. La CFDT est l’organisation qui signe, là où elle est présente, le plus fréquemment les accords d’entreprise : 94%. La CFE-CGC signe dans une proportion quasi-identique (93%), juste avant la CFTC (92%), FO (90%) et l’UNSA (88%).
La CGT, là ou elle est présente, signe 85% des accords et l’Union syndicale Solidaires SUD 72%.
Taux de signature des organisations syndicales conditionnellement à leur participation aux négociations préalables à la signature.
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Source : ministère du Travail : DARES (accords d’entreprise)
Calcul on rapporte, pour chaque organisation syndicale, le nombre d’accords ou avenants qu’elle a signés au nombre d’accords ou avenants conclus dans les entreprises où elle est présente. On fait l’hypothèse que lorsqu’une organisation est présente dans l’entreprise via un délégué syndical, elle participe à toutes les négociations collectives qui y sont menées.
Lecture : en 2019, la CGT a signé 85 % des accords collectifs ou avenants conclus dans les entités où elle est représentée par un délégué syndical.
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Le rapport 2020 du ministère du travail sur la négociation collective (bilan 2019), un document de 512 pages https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/bnc2019_web.pdf
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