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Photo du rédacteurDominique Andolfatto

Représentativité des syndicats : l'étonnant débat

Le Conseil économique et social adoptait, le 29 novembre dernier, un avis visant à « consolider le dialogue social ». Il y est question, en autres, de fonder la représentativité des syndicats sur leur audience électorale. Pour Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, cette mesure - si elle était adoptée - ne résoudrait pas la question. Le débat n'est pas achevé.


La désyndicalisation, l’émiettement des organisations syndicales et, corrélativement, les difficultés des relations sociales « à la française » ont conduit à poser la question de la représentativité syndicale et à envisager l’abrogation de la « présomption irréfragable de représentativité » accordée à cinq confédérations - selon un arrêté de 1966 - et de la remplacer par une élection-test périodique. La CGT, la CFDT, l’UNSA ou le rapport Hadas-Lebel plaident en ce sens. Mais une résistance s’organise, alliant les autres syndicats et le MEDEF. Depuis quelques semaines, ce sujet a même fait l’objet d’âpres discussions au sein du Conseil économique et social où une commission spéciale a été créée, qui vient d’entériner le projet. En effet, la solution projetée pourrait bouleverser quelques rentes de situation, acquises à la faveur d’un système qui ignore les implantations syndicales effectives sinon, plus largement, l’opinion des salariés. Mais cette solution résoudra-t-elle le problème ? Rien n’est moins sûr.


Il faut d’abord se demander comment une élection - organisée dans toutes les entreprises puisque tel serait le projet - pourrait revitaliser, voire recomposer, le tissu syndical, si tel est bien son objet, alors même que les syndicats sont inexistants dans la plupart des entreprises privées. De même, on ne voit pas comment cette élection pourrait refonder (ou fonder), comme par magie, le dialogue social dans ces mêmes entreprises ou leurs branches d’activité respectives. Historiquement, le suffrage professionnel a permis de légitimer - au début du XXe siècle (aux usines Schneider), en 1917 (dans la métallurgie et la chimie), puis en 1936 (dans les entreprises d’au moins 10 salariés couverts par une convention collective) - le rôle des syndicalistes comme médiateurs des relations sociales sur le lieu du travail. Cela signifie que des réseaux militants préexistaient au recours au suffrage. Jusqu’en 1936, les syndicalistes n’étaient d’ailleurs pas très favorables au vote professionnel. Ils méprisaient le « parlementarisme » et craignaient les divisions provoquées par la concurrence électorale. En effet, à l’origine, l’introduction du vote dans les relations professionnelles est une idée patronale. Après 1945, les élections professionnelles ont favorisé le pluralisme syndical, légitimant des réseaux militants concurrents de ceux de la CGT, en l’occurrence, les équipes de la CFTC puis de FO. Mais, là encore, l’organisation syndicale a précédé le vote, la sociologie le droit.


Syndicalisme d’adhésion ou de représentation ?


Rien de tel dans ce qui est préconisé aujourd’hui. L’ingénierie électorale proposée, là où elle pourrait être mise en œuvre, serait plaquée sur un désert syndical. Elle serait donc censée provoquer une génération spontanée de syndicalistes, vecteurs de nouvelles relations sociales. Si un tel miracle pouvait se produire, il légitimerait un « syndicalisme de représentation plus que d’adhésion », selon une formule du rapport Hadas-Lebel. Il consacrerait surtout quelques dizaines de milliers de professionnels de l’action syndicale qui ont tendance à privatiser à leur profit les avantages et les aides mis à disposition du syndicalisme et n’entretiennent plus qu’un lien électoral très épisodique avec les salariés. L’un des avant-projet d’avis qui a été discuté par le CES mentionnait même que les élections-test ne devraient intervenir qu’ « à des intervalles de temps suffisamment longs ».



Finalement, on ne voit pas bien en quoi la situation changerait foncièrement par rapport à aujourd’hui et comment une revitalisation syndicale se produirait. Consciente de la relation bien ténue existant entre salariés et syndicats, l’une des candidates à l’élection présidentielle - Ségolène Royal - a d’ailleurs suggéré de rendre l’adhésion obligatoire. Même si la candidate socialiste avait en tête le modèle scandinave, sa transposition en France est-elle seulement envisageable ? Ne risque-t-on pas plutôt de retrouver un système assez comparable à celui des anciens pays socialistes ?


Difficultés pratiques


On ajoutera que ce projet d’élection-test soulève de redoutables questions pratiques. Qui va établir les listes électorales ? Qui va contrôler que les salariés peuvent aller voter ? Qui va surveiller les urnes installées dans toutes les entreprises ? Qui va veiller à la régularité du dépouillement ? Qui va centraliser les résultats ? En tous cas, les syndicats ne pourront remplir ces tâches puisqu’ils sont absents de la plupart des lieux de travail. Quant aux employeurs, cette entreprise ne paraît guère les séduire. C’est le moins qu’on puisse dire.


En outre, il est loin d’être assuré qu’un enjeu essentiellement théorique - la détermination de la représentativité syndicale - convaincra les salariés d’aller voter alors qu’ils s’abstiennent massivement pour la désignation des conseillers prud’hommes, dont l’utilité est pourtant plus évidente. De même, il y a plus de vingt ans, les salariés avaient boudé les urnes lors de la restauration des élections à la Sécurité sociale (ce scrutin étant, du coup, abandonné... sans beaucoup de regrets de la part des organisations syndicales).


Quant à mesurer l’audience des syndicats - pour mieux étalonner leur représentativité -, il existe déjà de nombreuses consultations professionnelles qui renseignent de façon précise. Pour la fonction publique, un rapport annuel - de grande qualité - recense de façon exhaustive les résultats des élections aux commissions administratives paritaires. Pour le secteur privé, les résultats des élections aux comités d’entreprise fournissent un étalon suffisant. Compte tenu des plus grandes difficultés que présente leur compilation, en raison d’un tissu économique en perpétuelle évolution, ces résultats sont certes plus discutés mais leur tendance est difficilement contestable. Pour les plus petites entreprises, on pourrait recenser les résultats des élections des délégués du personnel, comme cela a déjà été fait dans le passé. Cela soulèverait des questions de méthode plus complexes, mais moins délicates que celles posées par une élection-test.


Enfin, concernant les effectifs syndiqués, on notera que, contrairement à une idée reçue, des informations abondantes circulent. Il est également assez simple de procéder à des vérifications ou à des estimations lorsque les données manquent.


On ne comprend donc pas bien l’intérêt d’inventer une nouvelle procédure de vote pour évaluer l’audience des organisations syndicales et pour déterminer leur représentativité (ou l’absence de représentativité), alors qu’on dispose déjà de tous les renseignements voulus. Quant à susciter des retrouvailles entre salariés et syndicats au moyen d’une élection tous les cinq, six, voire dix ans, cela ne paraît pas bien sérieux.


Si l’on souhaite absolument disposer d’une liste de syndicats représentatifs au niveau national : pourquoi ne pas retenir un minimum de 5% des suffrages exprimés lors des différentes consultations professionnelles et l’attestation d’implantations effectives dans une trentaine de branches d’activités et de départements ? On peut espérer enfin - à l’exemple de pays voisins - que les syndicats français réussiront à travailler ensemble pour tenter de réduire une atomisation préjudiciable au dialogue social.

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