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Photo du rédacteurPhilippe Darantière

Syndicats et développement durable : quelle stratégie ?

Un « Grenelle de l'environnement » est prévu en octobre prochain. Fait nouveau : 9 organisations non gouvernementales (ONG) seront les interlocuteurs officiels des pouvoirs publics. Comment les organisations syndicales traditionnelles vont-elles se positionner sur un thème qui entre désormais avec force dans leur champ de compétence ? Certaines d'entre elles ont déjà réfléchi et agissent.


Le 21 mai dernier, le Président de la République a proposé aux ONG d’ouvrir des négociations sur la lutte contre le réchauffement climatique, la préservation de la biodiversité et prévention des effets de la pollution sur la santé. Ce « Grenelle de l’environnement » est prévu en octobre prochain. Il débouchera sur un contrat entre l’Etat, les collectivités locales, les syndicats, les entreprises et les ONG. On peut déjà en tirer une conclusion pratique : l’environnement entre dans le champ de compétence des syndicats. Il leur reste trois mois d’ici la conférence pour affiner leurs stratégies d’alliance. Iront-ils vers l’Etat, vers les entreprises, vers les ONG, où tenteront-ils une « troisième voie » ? Si la CGT, la CFDT et la CFE-CGC ont un responsable confédéral chargé du développement durable, FO et la CFTC sont plus en retrait.


La RSE doit conduire à rénover le dialogue social


En matière de développement durable, les syndicats attendent plus, de l’Etat, des droits nouveaux que d’être reconnus comme force de proposition. La CGT plaide pour l’extension des prérogatives du CHSCT à la prévention des risques écologiques et demande la reconnaissance d’un droit de retrait environnemental pour les salariés. La CFDT considère pour sa part que la responsabilité sociale d’entreprise ne doit être « ni un phénomène de mode, ni un supplément d’âme pour l’action syndicale, (mais qu’elle) doit conduire à rénover le dialogue social » (François Chérèque - Colloque de l’ORSE du 21 février 2007). Elle appelle donc que les politiques de développement durable, qui s’imposent aux sociétés cotées depuis la Loi NRE de 2001, s’étendent aussi aux entreprises publiques, aux collectivités et aux PME. Pour sa part, la décision votée au 48ème Congrès de la CGT en avril 2006 affirme que la revendication d’un développement durable « repose sur une autre répartition des richesses », que Bernard Thibault commente en ces termes : « Ce que nous voulons changer, c’est le modèle économique lui-même, ce modèle libéral qui gaspille, dévaste notre planète et qui tend à s’accaparer toujours plus de biens publics » (Forum « Travail et développement durable » du 17 janvier 2007). Ce qui n’a pas empêché la centrale de Montreuil de figurer parmi les partenaires officiels du 4ème Forum mondial du développement durable organisée en décembre 2006 au Palais du Sénat, démontrant que l’idéologie n’exclue pas le lobbying. De là à faire des syndicats les partenaires des pouvoirs publics en matières d’écologie, il y a un pas que beaucoup hésiteront à franchir.



Entre les syndicats et les employeurs, des convergences existent sur la maîtrise de l’impact écologique des activités de l’entreprise, en particulier depuis l’obligation de publication du rapport de développement durable. Toutefois, une étude du cabinet ALPHA de 2006 a révélé que seules 11% des entreprises du CAC 40 donnent la parole aux représentants du personnel dans leur rapport de développement durable. En février 2007, une étude de l’agence de notation VIGEO pour l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (ORSE) démontre que 36% des 511 multinationales qui constituent son panel ne font apparaître aucun engagement visible en faveur du respect des droits sociaux et syndicaux.

En France même, la situation est des plus contrastées. Le groupe Lafarge, qui a signé depuis 2000 une convention avec l’ONG écologiste WWF, accueille depuis 2002 les organisations syndicales au sein du panel d’évaluation de son reporting social et environnemental. Le groupe PSA a lui aussi signé en 2006 un accord mondial sur la responsabilité sociale d’entreprise, en associant les représentants du personnel au suivi de ses engagements. Chez Total, les instances syndicales européennes sont également associées à la démarche de développement durable du groupe. Mais dans d’autres secteurs, comme le transport ou la chimie, la CGT réclame depuis longtemps la prise en compte de critères écologiques pour renforcer le rail face au transport routier, ou pour la prise en compte de la pollution dans la santé au travail. Une alliance globale syndicats-entreprises sur l’environnement est donc des plus improbables.


Alliance avec les ONG


L’autre voie stratégique qui s’offre est celle d’une alliance avec les ONG. Chronologiquement, la CFDT et la CFE-CGC ont été les premières organisations syndicales à se préoccuper de tisser des liens avec elles.




La CFDT possède la plus longue expérience de l’action militante au côté des ONG. Elle figure depuis 1995 parmi les fondateurs du Collectif « De l’éthique sur l’étiquette », qui interpelle les groupes du commerce et de la grande distribution sur l’origine de leurs produits et dénonce les mauvaises conditions de travail ou le non respect écologique des fournisseurs. Illustrant le slogan « Consommer, ce n’est pas seulement acheter ! », le collectif De l’éthique sur l’étiquette a lancé depuis sa création sept campagnes de sensibilisation des consommateurs, relayées localement par les militants CFDT des grandes surfaces.


Regroupant 44 associations de solidarité, les syndicats CFDT et FSU, des mouvements de consommateurs et des associations d’éducation populaire, De l’éthique sur l’étiquette est dirigé par un comité de pilotage composé de la CFDT, du CCFD, de l’association Léo Lagrange pour la défense des consommateurs, de la Confédération Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV), des Artisans du monde et de Peuples solidaires. Par ailleurs, l’Institut Belleville, organe d’études et de formation économique de la CFDT, figure au côté de ces mêmes associations parmi les membres de la plateforme d’ONG « Coordination Sud » (à l’exception de la CLCV). Cependant, depuis 2006, De l’éthique sur l’étiquette connait une situation financière difficile suite à l’arrêt d’un financement européen dont il bénéficiait, et a dû supprimer des postes de salariés.



La position de la CFE-CGC est plus spécifique. Elle a pour origine la création en juin 2000 de l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (ORSE). Parti d’une initiative de la CFE-CGC, qui entend faire de la responsabilité sociale et l’éthique des règles inhérentes à la vie de l’entreprise, l’ORSE est un organisme international indépendant. Il réunit 49 entreprises, 15 banques, 20 sociétés de gestion de portefeuille et institutions de prévoyance, 6 cabinets de consultants, 3 partenaires universitaires et 17 organisations professionnelles dont le MEDEF. Côté syndicats, la CFE-CGC a été rejoint par la CFDT, la CFTC, la CGT et FO. L’objectif de l’ORSE est "d’approfondir, en associant des universitaires et experts reconnus, des thèmes tels que la notation sociétale des entreprises, les outils de la RSE et leur utilisation ; la place et les effets des règles déontologiques dans les entreprises ; le gouvernement d’entreprise, expression de la volonté des actionnaires et le développement durable" (la Lettre confédérale, 29 juin 2000). La CFE-CGC y défend le rôle des salariés dans la gouvernance d’entreprise, pour une politique financière « socialement responsable » qui oriente les placements de l’épargne salariale vers des fonds éthiques, et pour le développement de droits sociaux nouveaux tels que les droits d’alerte et de retrait éthiques. Le 5 juin dernier, la confédération a organisé une table ronde intitulée : « Le développement durable en entreprise : image et/ou stratégie », à laquelle participait l’ONG de commerce équitable Max Havelaar France.

Prise de conscience des militants CGT


La CGT a amorcé une réflexion sur les nouvelles problématiques sociétales il y a quelques années, ainsi que l’illustre la publication en 2004 du livre de Bernard Saincy : « Les entreprises seront-elles un jour responsables ? » (Editions la Dispute).


Cette réflexion débouche aujourd’hui sur une phase plus opérationnelle. L’organisation, le 17 janvier dernier, d’un forum intitulé « Travail et développement durable » n’a pas été seulement un moment d’information et de débat, tel qu’on peut souvent le rencontrer. Sous le titre « Quel axes d’action pour le syndicalisme et les acteurs sociaux, quel rassemblement ? », une des trois tables rondes donnait la parole à Nathalie Grimaud, du CCFD ou Yannick Jadot, de Greenpeace France.


Ce forum a été l’occasion de réunir des responsables de fédérations et d’unions départementales dans une démarche pensée au niveau confédéral, pour installer cette problématique nouvelle dans les orientations et les consignes militantes que pourront désormais développer les équipes CGT dans les entreprises.



A l’occasion de ce forum, Yannick Jadot, directeur des campagnes de Greenpeace France déclarait : « Greenpeace et la CGT ont en commun d’agir par la création du rapport de force qui vise à gagner, pas à convaincre. » Cet aveu d’une convergence stratégique est à prendre pour un avertissement. Déjà, la Fédération de la chimie a allié ses forces avec Greenpeace pour peser sur le débat européen qui a conduit à l’adoption de la directive REACH sur la prévention de la pollution. Moins médiatiquement, la CGT des agents de l’Etat a aussi apporté son concours à Greenpeace lors de la campagne contre le désamiantage du porte-avions Clémenceau, dont le point culminant fut l’incursion de militants écologistes sur le navire au milieu de l’arsenal de Toulon le 12 décembre 2005 (ce qui leur vaut une mise en examen pour pénétration illégale dans une enceinte militaire...).



Ouvrage publié en 2004 par Michèle Descolonges, sociologue, et Bernard Saincy, animateur du collectif confédéral « Développement durable » de la CGT. Les deux auteurs ont publié en 2006 un deuxième ouvrage « Les nouveaux enjeux de la négociation sociale internationale » (La Découverte, 196 pages, 21€)


CFTC et FO encore en retrait


De son côté, la CFTC se contente d’un service minimum. En 2000, elle a rejoint la plate-forme des ONG contre la dette du tiers monde avec la CFDT et la CGT. Elle siège aussi au côté de la CFDT, de la CFE-CGC et de la CGT en tant que fondateur du Comité intersyndical de l’épargne salariale (CIES), qui vise à orienter l’argent des salariés vers des investissements socialement responsable, mais aussi à influencer la stratégie des entreprises en votant dans les assemblées générales d’actionnaires où le CIES est présent. Quant à FO, elle donne l’impression que rien n’a changé dans la politique confédérale depuis que Marc Blondel écrivait le 12 novembre 2003 : « Au lieu de s’associer à la lutte syndicale, de s’engager dans le combat collectif, certains rendent responsable collectivement la société, dont le mouvement syndical, de cette situation... Une pléthore d’organisations non gouvernementales (ONG) s’autoalimentent ainsi et vont de forum en agora... ». On ne trouve guère que la fédération FO de l’énergie à militer au sein de l’association « Droit à l’énergie », avec la CGT et la CFTC, pour « faire de l’accès à l’énergie un droit de l’homme »... Même le très consensuel Forum citoyen pour la responsabilité sociale des entreprises, créé en 2004, n’enregistre l’adhésion ni de FO ni de la CFTC, alors qu’il réunit la CFDT, la CFE- CGC, la CGT, les Amis de la Terre, Amnesty International, le Centre de Recherche et d’Information pour le Développement, France Nature Environnement, Greenpeace France et Alternatives Economiques.


Le « Grenelle de l’environnement » d’octobre 2007 pourrait donc être le lieu de confrontation de deux stratégies antagonistes : soit « les préoccupations des équipes syndicales restent uniquement sociales, traitant de problématiques intra-entreprises », essentiellement liées à la préservation des emplois, soit « elles s’approprient les enjeux sociétaux et les impacts environnementaux liés à l’activité de l’entreprise pour en faire des revendications syndicales », (la Revue de la CFDT, mai-juin 2007). Les organisations syndicales devront se positionner par rapport à l’échelle décrite par Daniel Richard, président du WWF France, lors du colloque de l’ORSE sur « le dialogue social et la RSE », le 21 février dernier : « les ONG travaillent au niveau des valeurs, les entreprises au niveau du profit ». Où seront les syndicats ?





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